Au Grütli: Ce sont deux pièces courtes écrites en 1967 pour la radio, Le mensonge et Le Silence, que Valentin Rossier, directeur du théâtre de l’Orangerie, décide de monter. Et c’est une vraie réussite.

Car les acteurs, par un jeu tout en subtilité, parviennent à mettre en évidence ce à quoi Nathalie Sarraute s’attaque et qui est si difficile à nommer, à toucher: le dialogue apparaît ainsi comme le faire-valoir de ces mouvements psychiques nommés par l’écrivain de Tropismes :

« Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence. […] Leur déploiement constitue de véritables drames qui se dissimulent derrière les conversations les plus banales, les gestes les plus quotidiens. Ils débouchent à tout moment sur ces apparences qui à la fois les masquent et les révèlent. »

Le Mensonge et le Silence Troupe

L’art de Nathalie Sarraute consiste à inventer un dialogue qui puisse exprimer cet infiniment petit, en perpétuel mouvement. Ainsi les personnages vont s’effacer devant ces mots qui peuvent blesser plus que les armes, qui révèlent en eux une émotion infime, un malaise si compliqué à dire. Ici, mensonge et silence provoquent une sorte de « trou » dans lequel s’engouffrent le langage. La conversation prend d’abord un tour tout à fait banal; et soudain, comme le dit Arnaud Rykner: «la conversation tente de maladroitement recouvrir l’horreur de la sous-conversation; mais celle-ci resurgit par ses failles: l’écrivain la donne à voir en la laissant grandir alors que la vie sociale parvient à peu près à la maîtriser ».

L’univers que peint Nathalie Sarraute est certes très cruel. Les hommes sont toujours tributaires du regard social dont ils ne parviennent pas à s’extraire, ils pataugent dans des situations très gênantes. Cependant, et curieusement, le théâtre sarrautien nous fait rire aussi, « car il grossit des situations pour les rendre plus visibles. » (A.Rykner). Il nous pousse à réfléchir sur des situations sociales complexes, sur nos faiblesses d’hommes en nous faisant observer, dans les failles du langage, ce qui peut avoir l’air de « rien », pour utiliser la formule de Pour un Oui Pour un Non) mais qui se révèle une bombe à retardement.

Il est rare de voir autant de profondeur si bien servie par la finesse du jeu des acteurs. Après une heure et demie vous sortirez du spectacle comme lavé par l’extrême simplicité du langage.

Isabelle Stroun, Directrice du Salon Culturel, mars 2016

Théâtre du Grütli

Rue Général-Dufour, 16

1204 Genève

tel: +41 (0)22 888 44 84

www.grutli.ch