Virginie Hours

©Tristan Jeanne-Valès/Leemage/Actes Sud

« La Beauté des jours » est le dernier livre de Claudie Gallay. Il met en scène Jeanne, une femme qui n’a jamais quitté sa ville de l’Isère en France et travaille au guichet de la poste. Sa vie pourrait paraître monotone mais inlassablement, elle cherche à y mettre de l’inattendu mêlé à de la poésie, tout comme elle est fascinée par l’artiste serbe Marina Abramovic. Un beau jour, elle va croiser Martin, son amour de jeunesse, qui est chargé de la restauration des vitraux de la chapelle d’un château voisin, le château de Montplaisant. La voici donc, au-milieu de son chemin de vie et de ses interrogations.

Comme toujours avec Claudie Gallay, le rythme est lent mais rempli de poésie, il nous permet de nous approcher au plus près des personnages pour mieux nous identifier et croire en cette beauté des jours qui passent.

Rencontre avec Claudie Gallay à l’occasion du salon du livre de Genève.

Claudie Gallay est née en 1961 à Bourgoin-Jallieu en Isère (France). Elle publie en 2001 « l’Office des vivants » mais acquiert la notoriété avec « Seule Venise » en 2003 mais surtout avec « Les Déferlantes » en 2008 qui gagne 19 prix littéraires, principalement en France.

Virginie Hours : Dans plusieurs de vos livres, un artiste est en fond de tableau : Prévert dans «Les Déferlantes», Christo dans «Une part de ciel», Marina Abramovic dans «La Beauté des jours». Est-ce pour s’en servir comme miroir et souligner combien une vie en comparaison est plus banale ?

Claudie Gallay : Il n’y a pas toujours des artistes dans mes livres mais c’est vrai que j’aime beaucoup l’art. Les artistes nous apportent une joie de vivre incroyable, ils nous font faire un pas de côté, nous font voir la vie autrement. Dans «La Beauté des jours», Marina Abramovic est mon point de départ, un coup de cœur réel pour la beauté. Elle me fascine énormément et je souhaitais écrire sur elle mais une biographie détaillée ne me permettait pas de dire assez de choses. Il fallait donc inventer un personnage de fiction, Jeanne. Dans «Une part de ciel», Christo occupe juste le fond de l’histoire, on en parle un peu, comme ça… Dans «Les Déferlantes», il y a Jacques Prévert. Lui qui n’avait jamais voulu avoir une maison car il disait que cela vous scotche quelque part, est arrivé là-haut et s’est dit : «c’est là». Son poème «le gardien du phare aime trop les oiseaux» était un cadeau.

VH : Que ce soit dans «La Beauté des jours» ou «La part du ciel», le caractère principal est une mère dont les deux filles ont quitté la maison pour vivre leur vie. Pourquoi choisir ce moment particulièrement ? Est-ce un hasard ou une étape qui, personnellement, vous touche davantage ?

CG : On me fait souvent la remarque et il me faudrait peut-être l’aide d’un psychanalyste pour comprendre pourquoi je reviens toujours sur cette période… Quand j’écris, je ne me pose pas la question mais ça m’arrange que ces femmes soient à un moment de leur vie où elles ont du temps. Jeanne dans «La Beauté des jours» est au-milieu de sa vie, elle a 43 ans. Elle peut s’interroger : comment est-ce que je gère la suite ? Il ne faut pas se voiler la face. Mais ce n’est pas un personnage triste. Elle se pose les bonnes questions.

VH : L’héroïne, c’est vous ?

CG : Il y a du moi en Jeanne mais je ne suis pas Jeanne. Beaucoup de femmes, depuis la sortie du livre, se reconnaissent dans Jeanne, dans ce besoin d’autre chose que le quotidien. Souvent les femmes sont des mères, elles nourrissent, font la cohésion mais une part d’elle est ailleurs. Il n’y a pas plus simple que Jeanne qui, pourtant, est lumineuse dans son quotidien. Ça, ça m’intéressait.

VH : Jeanne est face à deux hommes, deux styles de vie, deux choix. Pourquoi choisir une fin bien sage qui ne correspond pas à l’air du temps ?

CG : Elle dit qu’elle est comme son chat, un être de «territoire court». Ce n’est pas une femme libre mais quelqu’un qui a besoin d’être rassurée. C’est vrai qu’on peut être admiratif de la vie de certains grands voyageurs qui vont et viennent. Mais est-ce que cette vie est possible pour nous ? C’est la question.

J’étais à Paris il n’y a pas très longtemps et j’ai vu arriver une lectrice qui avait lu le livre deux fois et était très en colère contre le choix de Jeanne. « Vous comprenez, moi j’ai été dans cette situation-là. J’étais comme Jeanne, je suis restée et maintenant, je m’en veux » m’a-t-elle dit. « Donc, vous demandez à un personnage de roman de compenser ce que vous n’avez pas eu le courage de faire ? » lui ai-je fait remarquer. Elle est partie, puis elle est revenue et m’a répondu : « oui, mais la littérature c’est ça. Elle doit compenser ce que nous, parfois, nous ne pouvons pas faire ». Et j’ai trouvé que c’était beau. Peut-être la lecture, la littérature, les arts nous permettent d’oser des choses que notre histoire personnelle nous empêche de vivre. La vie est trop courte.

Elle fait le choix. Elle a son histoire avec Martin et elle revient. Elle a son rendez-vous avec Abramovic, puis elle écrit à son mari : « je rentre à la maison ». C’est courageux, c’est réfléchi. Et je pense que c’est une femme qui aura une belle vie. Je ne suis pas certaine que ces amours de jeunesse soient faits pour durer.

VH : Vous avez une écriture de la lenteur, des détails de la vie quotidienne, des répétitions des jours. Est-ce une réaction face à un monde qu’on dit de plus en plus rapide, où tout s’accélère ou est dans l’urgence ?

CG : C’est ma manière d’être, de freiner cette accélération du temps que je ressens. Là, on se voit, on parle mais on ne s’est jamais vu… Il faudrait plus de temps pour entrer en relation. En écriture, on peut trouver son propre rythme, prendre de la hauteur, s’approcher lentement des personnages. Jeanne est contemplative, elle vient aussi d’un milieu qui est très lent. Il faut comprendre d’où on vient pour comprendre qui on est, pourquoi Jeanne a autant d’empêchement et pourquoi elle s’échappe. Elle fait ce qu’elle peut et elle réussit plutôt bien. Elle vit dans une toute petite ville de province, un peu triste. On n’est pas à Paris ni à Genève,

Son mari est une belle personne, quelqu’un d’aimant. Il ne l’emporte pas très loin contrairement à Martin qui lui promet d’aller au Japon, mais il est beau dans le quotidien. Il y a le quotidien et il y a l’ailleurs, le rêve. Qu’est-ce qu’on choisi ? Cette question est compliquée et je pense que Jeanne a fait le choix qui s’imposait à elle.

VH : Vous êtes originaire de l’Isère en France. Dans chacun de vos livres, il semble que vous choisissiez un coin de France : le Cotentin dans « Les Déferlantes », la Vanoise dans « La part du ciel », l’Isère dans celui-ci. Pourquoi ce choix ? Est-ce que sont les lieux qui vous inspirent une histoire ou l’inverse ?

CG : Dans «La Beauté des jours», il me fallait une petite ville de province très banale et j’ai choisi celle que je connais le mieux, où je suis née et où j’ai passé 20 ans. En revanche, les récits de «Seule Venise» et «Les Déferlantes» sont partis d’un lieu : un vieux palais situé à Barbaria delle tolle à Venise où j’ai loué une chambre d’hôte pendant de nombreuses années jusqu’à ce qu’il soit vendu et du Cotentin où je me rendais depuis de nombreuses années. En revanche, pour «Une part de ciel», il me fallait une géographie un peu étouffante pour que les deux sœurs et ce frère se retrouvent à attendre le père. J’ai pensé à la Vanoise car dans ma petite enfance, j’allais souvent là-bas avec mes parents à Saint-Martin-de-Belleville, mais le lieu est inventé.

Je passe une partie de l’année dans le sud de la France, dans le Vaucluse, surtout l’hiver car le climat est plus clément. La lumière donne une poésie, une douceur de vivre. Je ne pense pas utiliser cette région dans un de mes livres, peut-être parce qu’elle a trop de lumière. Dans mon prochain roman, j’ai plutôt envie de me « coller » à une grande ville où des gens peuvent vivre comme à la campagne car chaque quartier est un village…

Un peu de tourisme…

Le livre La Beauté des jours » évoque le château de Montplaisant près de Saint Hilaire de Brens en France. Situé à 140 km de Genève et 60 km de Lyon, il est vendu par l’Etat en 2010 à un amoureux des pierres qui le restaure avec passion. Construit à la fin du XIII/début du XIVème siècle, c’est une ancienne maison forte qui a conservé sa tour carrée originelle malgré de nombreux aménagements effectués au fil des siècles. En 1463, une chapelle seigneuriale, classée «monument historique» depuis 1977, est ajoutée à l’ensemble et dotée d’un toit voûté et de murs ornés de peintures. C’est cette chapelle que Martin restaure dans le livre…

Claudie Gallay et la Suisse :

Il y a quelques années, je suis venue à Lausanne et j’ai eu du mal à partir. Il y a tout : l’eau, la montagne, la lumière… Et au petit matin avec la brume, la vue est magnifique ! J’ai également visité un musée d’art brut qui m’a marqué. A Genève, je connais Marie-Madeleine Opalka, la veuve du grand artiste Roman Opalka (et figure principale du livre «détails d’Opalka») , qui y passe beaucoup du temps et j’espère me promener avec elle le long du lac. Entre la montagne et le lac, vous avez de la chance !