Sonia Jebsen – novembre 2018

A la question « qu’est-ce-qu’un collectionneur d’art ? quelle est la définition d’un mécène ? » Chacun d’entre nous peut citer quelques noms de personnalités dans l’histoire et parmi des acteurs du monde de l’art contemporain  . Alors, connaissez-vous l’histoire du Musée Ariana à Genève (le Musée suisse de la céramique et du verre) ? Si non, une visite de l’exposition en cours s’impose, vous y  découvrirez une belle illustration  du collectionneur-mécène dans toute sa splendeur. Il a pour nom : Gustave Revilliod (1817-1890), fondateur du Musée Ariana.

Ce riche héritier genevois consacre sa vie à l’art dans toutes ses expressions et n’aura de cesse d’acquérir quantité d’oeuvres reflétant un goût éclectique allant de l’Antiquité à l’époque de ses contemporains. “J’achève une oeuvre, laquelle fera pendant de longues années je l’espère l’honneur de notre pays et servira à l’éducation artistique des générations, lesquelles succéderont à la nôtre”. Une phrase qui résume l’engagement d’une vie! La mise en scène de cette magnifique exposition a été réalisée par deux commissaires d’expositions : Anne-Claire Schumacher (conservatrice en chef) et Ana Quintero Perez (collaboratrice scientifique) avec la participation de diverses institutions genevoises (MAH, Bibliothèque) héritières d’une partie de l’immense collection de Gustave Revilliod. Une publication est également née de ce projet.

Remontons le temps pour découvrir quel personnage est à l’origine du Musée qu’il a baptisé du nom de sa mère bien-aimée, Ariane. Pour collectionner, il faut quelques finances et du temps. Ces deux composantes, l’érudit passionné d’art en hérite à sa naissance. Ses parents, Philippe Revilliod (1786-1864) et Ariane de la Rive (1791-1876) sont cousins germains et la fortune léguée à  Gustave, provient en grande partie du côté maternel, grâce au négoce et à la banque. Il étudie le droit à Genève et la philosophie à Berlin. Amoureux de littérature, écrivain et poète lui-même, traducteur, il collabore avec l’imprimeur G.F. Fick à Genève pour l’édition d’ouvrages historiques et contemporains ainsi que ses propres écrits. Très actif dans le domaine des arts et des lettres, Gustave Revilliod se passionne également pour l’histoire et la géographie dont il préside la Société à Genève. Patriote et citoyen engagé, il assume la charge de député et de membre du Grand Conseil.

Voyager, un enrichissement personnel pour Gustave Revilliod

Les voyages forment la jeunesse, dit le proverbe… qui s’applique parfaitement à l’ouverture d’esprit du collectionneur. Revilliod, curieux du monde et d’autrui, va à la rencontre des autres cultures avec enthousiasme et curiosité. Le XIXe siècle est l’Age d’Or du voyage pour les artistes, écrivains, scientifiques. Le collectionneur genevois découvre une grande partie de l’Europe (France, Allemagne,Italie, Scandinavie…), puis l’Algérie et l’Egypte qu’il visite à plusieurs reprises ( l’inauguration du canal de Suez, en 1869), et c’est au Caire qu’il décède le 21 décembre 1890. Son insatiable curiosité intellectuelle et artistique, son attrait pour les cultures étrangères, et son altruisme l’emporte vers des destinations de plus en plus éloignées de sa patrie : l’Inde, La Chine, le Japon, l’Australie, et les Etats-Unis.

Célibataire endurci, sans enfants, il voyage très souvent en compagnie de son ami et intendant dévoué, Godefroy Sidler 1(836-1910), qui deviendra le premier conservateur du musée Ariana inauguré en 1884. En partant à la découverte du monde, Revilliod rapporte avec lui quantité d’oeuvres d’art, d’objets d’artisanat, de livres… S’accumulent alors tableaux, dessins, sculptures, mobilier, céramiques, verrerie, bijoux, pièces de monnaie anciennes. Cette collection encyclopédique, il ne la crée pas uniquement pour son propre plaisir mais bien pour en faire profiter ses compatriotes. Ceux qui, contrairement à lui, n’ont ni les moyens, ni le temps de parcourir le vaste monde!

Revilliod, un collectionneur philanthrope et visionnaire

Si le Musée Ariana est de nos jours réputé mondialement pour la qualité et la variété d’oeuvres en céramique et en verre, l’exposition qui le met à l’honneur nous révèle son goût éclectique pour l’art. Et nous vous conseillons de ne pas faire la visite dans le précipitation car elle nécessite un temps de qualité si vous souhaitez apprécier le contenu et le message transmis par Revilliod. Voici un petit avant-goût de ce qui vous est judicieusement présenté au Musée vous permettant également de voir (si ce n’est déjà fait) l’exposition permanente. Plus de 30’000 pièces composent la collection! En 1851, Gustave Revilliod visite l’Exposition Universelle de Londres, grandiose et hétéroclite, inspirant sans aucun doute le genevois pour son projet de collectionneur.

Grâce à ses relations avec des marchands d’art, il acquiert durant ses voyages en Europe des tableaux de toutes les époques (écoles italienne, flamande, allemande, française) qui ornent les murs de l’exposition. La salle située au sous-sol vous impressionnera avec des pièces de collection de grande taille (mobilier, vases, mosaïque…). Son goût prononcé pour les arts de l’Orient est magnifiquement mis en scène dans la Chambre chinoise où le rouge domine avec ce parfum d’exotisme provenant de ces contrées lointaines qui ont envoûté Gustave Revilliod. Mais le grand voyageur mécène reste suisse avant tout et soutient avec enthousiasme les artistes de son pays dont il acquiert des oeuvres tout au long de sa vie. Ces artistes et artisans sont mis à l’honneur tout au long de l’exposition.

Le Musée Ariana, l’aboutissement d’une vie de collectionneur

Très tôt, à partir de 1866, Revilliod souhaite exposer les oeuvres d’art dans un lieu ouvert au public. Il réside alors au n° 12 rue de l’Hôtel de Ville, un immeuble de famille qui devient vite trop étroit pour accueillir la collection grandissante. Deux événements cruciaux vont lui inspirer la création du Musée : le décès de sa mère adorée, Ariane de la Rive, en 1876, et l’acquisition du domaine de Varembé sur lequel il fera ériger ce “Palais” d’inspiration italienne. La conception du projet est collective : le plan du Musée naît de la collaboration entre Revilliod, son intendant Sidler et son ami l’architecte Emile Grobéty. Le collectionneur genevois invite le jeune architecte dans un voyage initiatique en Italie, voyage durant lequel il s’imprègne du concept palatial du futur musée. Le chantier dure de 1877 à 1884.

Gustave Revilliod va consacrer les quatorze dernières années de sa vie à la concrétisation de son rêve. L’Ariana devient dès son inauguration un lieu de visite incontournable pour les contemporains de Revilliod dont ils admirent et louent l’entreprise colossale dans un but philanthropique. La fierté du mécène se lit dans les lettres qu’il adresse à son fidèle Sidler lors de son tour du monde entre 1888 et 1889 : “ce que je puis vous affirmer, c’est que je ne donnerais nullement mon Ariana pour le musée de New-York ; pourtant je ne suis qu’un simple bourgeois de Genève” (…) « L’Ariana, l’Ariana, plus je vois et plus elle monte dans mon opinion. Elle égalera bientôt tous les musées.”

Nous vous laisserons libre de votre opinion à ce sujet, mais rendons à César ce qui est à César et c’est le but légitime de l’exposition en cours.

Musée Ariana

Musée Suisse de la céramique et du verre

Avenue de la Paix, 10

1202, Genève, Suisse

Mar-Dim : 10h-18h

tel : +41 (0)22 418 54 50

mail : ariana@ville-ge.ch