Virginie Hours

Faut-il la présenter ?

Hélène Bruller est une touche à tout. Auteur et dessinatrice, elle s’est fait connaître en participant à l’aventure Titeuf, en fondant le label d’édition Pop ! en écrivant les textes du « Guide du zizi sexuel » et du « Guide du Supermoi » ou en dessinant ses propres bandes dessinées dans lesquelles elle nous fait part de ses états d’âme à chaque étape clé de sa vie…

Tout y passe, avec un dessin ni fin, ni délicat mais très souvent percutant et efficace : la recherche de l’âme sœur, le divorce… A présent, elle se consacre à la vieillesse dans son album « j’veux pas vieillir » ! Ou comment poser un regard cru et compatissant sur les années qui se rajoutent, le corps qui commence à lâcher mais aussi sur cette nouvelle philosophie carpe diem qui nous anime.

A l’occasion du salon du livre de Genève, rencontre avec celle qui souhaiterait que la grossièreté soit reconnue comme un enrichissement du langage.

Hélène Bruller est née le 22 Juillet 1968 à Boulogne-Billancourt (France).  Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs  à Paris, elle débute comme graphiste et illustratrice avant de s’engager avec succès dans la bande dessinée, notamment en participant à l’aventure Titeuf.

Virginie Hours : Question classique mais dont la réponse est toujours personnelle : comment devient-on dessinatrice de bande dessinée ?

Hélène Bruller : On ne devient pas, on naît comme ça. Déjà toute petite, je n’étais intéressée que par le dessin et en grandissant, j’ai continué car je ne connaissais pas d’autres moyens d’exprimer ce que je ressentais. L’artiste commence souvent par une faille ou une névrose qui ne peut s’exprimer que par un média artistique, soit parce qu’il est muselé et n’ose pas parler, soit parce qu’il est introverti. Moi, je ne savais que me mettre en colère et attaquer car on m’avait appris que pleurer et être fragile, c’était s’humilier, être ridicule, inférieure, voire faible. Mais il arrive un moment où les pleurs sont nécessaires et où il faut savoir montrer sa peine. Lorsque je dessinais, je me sentais bien, j’avais le sentiment que je pouvais inventer un monde dans lequel j’étais aimée, entendue, reconnue… Pourquoi ensuite passer du dessin à la bande dessinée ? C’est une question de personnalité, de famille : mon grand-père, Jean Bruller, était auteur de bande dessinée avant d’être écrivain (Vercors). Et puis, il y a le goût  : j’ai toujours été une grande lectrice dotée d’une énorme culture en bande dessinée. Mais dans ma famille, on disait, « quel dommage, Helène ne lit pas » car la bande dessinée était destinée uniquement aux c…

 

VH : Quelles sont vos références ?

HB : Astérix, etc… Une grande admiration pour Franquin qui reste le Dieu du dessin. Vers 10 ans, j’achetais Fluide glacial et je commençais à m’intéresser à Edika et Gotlib car c’était « outrecuidant. » Ils osaient dire des choses qui gênaient les autres. Moi, j’adorais cette ironie, cet humour. J’ai toujours aimé la grossièreté car je considère que c’est un enrichissement du langage : à sensations violentes, mots violents ! J’aime que les mots soient justes. Par exemple, si je pense qu’une nana est une salope, je ne peux pas trouver un autre terme si celui-là s’applique parfaitement. Je veux avoir le droit d’utiliser le plus grand éventail de mots et la grossièreté est presqu’une forme de poésie. D’ailleurs, le fait que la grossièreté existe prouve qu’elle est utile. Mais la grande déesse reste Claire Brétécher. Elle est ma mère spirituelle, LA bande dessinée féminine. Nous sommes des suiveurs.

© Bruller / Desinge & Hugo

VH : La bande dessinée est encore un monde réputé très masculin. Remerciez-vous Claire Brétécher de vous avoir ouvert la voie et trouvez-vous que les femmes sont plus présentes ?

HB : Nous sommes très peu à reconnaître l’influence de Claire Brétecher car c’est une question de génération. Pendant 10 ans, j’étais seule avec Catel Muller à faire de la bande dessinée, avec des univers très différents. Et puis tout à coup, a débarqué un flot de jeunes auteurs féminins venus du blog. Le blog est un autre monde car il y a une manière particulière de dessiner pour le blog avec une palette graphique, des automatismes. Je ne m’y retrouve pas car je travaille toujours sur une feuille de papier.

 

VH : Et pour vous, c’est du dessin ou de la bande dessinée ?

HB : Dans une vague comme celle-ci, le pire côtoie le meilleur même édité car s’installe une concurrence entre les maisons d’édition. Une nouvelle façon de soumettre les femmes est également apparue sous le terme de « bande dessinée glamour » : les éditeurs cantonnent les auteurs à des histoires sans intérêt de talons hauts qui se cassent… Et elles n’osent pas refuser pour rester publiées.

Je ne me reconnais pas dans cette vague. Je fais de la bande dessinée pour partager des sentiments et rencontrer des lecteurs qui me disent : « j’ai lu votre album et ça m’a rassuré car j’ai ressenti les mêmes choses que vous ». Dans cette vague d’histoire insipide et sans intérêt uniforme, certaines auteurs sortent du lot et osent parler des problématiques de femmes. Par exemple, je trouve que Pénélope Bagieu a su dire non : elle a commencé avec des dessins à l’ordinateur, des petits gags et des dessins qui se ressemblent, elle a eu du succès et a choisi d’explorer un autre univers. Notamment avec ses albums « Les culottées », elle montre la volonté d’être elle-même et c’est ça qui fait un auteur. J’aime d’autres auteurs mais pour l’instant, elles n’ont pas réussi à prendre totalement possession de ce qu’elles sont.

© Bruller / Desinge & Hugo

VH : Vos albums précédents traitent de la recherche de l’homme idéal (je veux le prince charmant), la séparation (larguées), le retour de la confiance en soi (Helene Bruller est une vraie salope). Aujourd’hui avec « j’veux pas vieillir », c’est un cri du cœur ?

HB : Quand j’ai commencé cet album, j’avais 47 ans… Je fais des albums en fonction de ce que je vis et c’est pourquoi, après chaque album j’ai le sentiment d’avoir tout dit… Et puis peu à peu, certains sujets vont apparaître, vont m’emplir… Jusqu’à ce que je me mette au travail et termine l’album en deux mois. Je n’écris rien, je garde tout en moi. Et si d’autres écrivent comme moi sur la vieillesse, je ne considèrerai pas cela comme du plagiat car nous pouvons traiter un même sujet de manière très différente.

 

VH : Quelle est votre solution pour ne pas vieillir ?

HB : Le déni, ça marche plutôt bien… mais pas pour moi ! J’accepte mon âge et je l’aime bien car il a plein d’avantages : une forme de sagesse due aux expériences que j’ai déjà vécues et qui m’évite tellement de souffrances, de vexations, de pleurs… Et puis, transmettre à ses enfants, savoir les réconforter quand ils ont des chagrins d’amour, c’est magnifique ! J’aime vivre ça et je me sens mieux dans ma peau… même si j’aimerais récupérer le corps que j’avais à 15 ans !

 

VH : Et vos prochains projets ?

HB : J’ai écris un scénario de Thriller mais qui va être dessiné par Jaypee qui a un dessin stricte, académique, merveilleux et parfait pour une histoire pareille. La bande dessinée devrait sortir en juin 2018 et s’intituler « « tout va bien ma chérie ». Je travaille également sur une série télé et des épisodes qui durent jusqu’en décembre 2018. Ensuite, on verra…

© Bruller / Desinge & Hugo