Sonia Jebsen – Mars 2018

“O vieux Léman, toujours le même,

Bleu miroir du bleu firmament,

Plus on te voit et plus on t’aime,

O vieux Léman.”

Ces vers du poète vaudois, Eugène Rambert, illustrent magnifiquement la nouvelle exposition du Musée d’art de Pully. 2018 est l’année du centenaire de la disparition du plus grand peintre suisse,Ferdinand Hodler, né à Berne en 1853, mort  à Genève 1918.

Hodler est en quelque sorte une success story de l’ époque. Orphelin, sans le sou, il arrive à Genève en 1871, avec l’ambition de devenir un peintre célèbre et reconnu. Sa personnalité extravertie, son audace et son pragmatisme lui ont permis de passer outre les critiques de la presse et du public suscitées par ses premières oeuvres et d’acquérir une reconnaissance internationale. S’en suivront des commandes publiques et des ventes conséquentes. Hodler connaît la gloire et la richesse de son vivant.

A quel mouvement artistique l’affilier ? Aucun finalement. Il s’affranchit peu à peu des modèles de l’époque (réalisme, symbolisme) et développe son propre style. “La mission de l’artiste est d’exprimer l’essentiel de la nature -la beauté- : d’en dégager l’idée essentielle” écrit Hodler, l’accrochage de cette exposition en est la preuve évidente.

Hodler au Musée de Pully, c’est un hommage au lac Léman, avec 50 tableaux, issus de prêts faits par des  collectionneurs privés. Des oeuvres cachées pendant longtemps aux yeux du public… Coup de chapeau à l’équipe du Musée qui a travaillé en étroite collaboration avec les Archives Jura Brüschweiler, institution créée par l’historien de l’art du même nom, dédiée à la vie et l’oeuvre d’Hodler.

Le parcours de la visite se déroule de manière chronologique et le choix des oeuvres est superbement réparti dans les 10 salles du Musée. C’est un voyage poétique, coloré, lumineux, dans lequel nous emporte chaque paysage. On suit l’artiste au gré de ses promenades le long du lac, de Genève, aller-retour, en passant par Pully et Chexbres. Tel un photographe, il part en quête de nouveaux sites pour traquer un cadrage nouveau, une lumière particulière. Au Musée de Pully, on admire le lac “ intra et extra muros”. Les fenêtres donnant sur le Léman nous rappelle sa forte présence et le magnétisme qu’il a pu exercer sur Hodler. Il est agréable de savoir que l’artiste nous a précédé dans ses lieux à Pully où il venait rendre visite à son ami, Emile Borgeaud, propriétaire de la maison dans les années 1880.

Les oeuvres intitulées “Rive à Pully” (1882) et le “Léman vu de Lutry” (1891) en sont de belles preuves. En 1905, un nouveau paysage est mis en lumière par Hodler, le Grammont, montagne emblématique représentée 16 fois par le peintre. C’est notamment au travers de ce sujet qu’il va développer et théoriser le concept du “parallélisme” qui sera le fondement de son art.  (cf.La mission de l’artiste, 1897). Par ce terme de parallélisme, Hodler désigne une succession réitérée, mais jamais identique, de lignes , de mouvements, sommets, nuages … un principe de composition formelle qui a pour but de révéler l’ordre qui régit la nature. En admirant les paysages, les séries de vues du Léman cerné de ses majestueuses montagnes, il en ressort une impression d’harmonie évidente pareille à une composition mélodique.

Il est certain qu’après avoir visité l’exposition, on ne peut plus regarder le Léman de la même manière, c’est dire la force qui s’en dégage. Dans cette succession d’oeuvres en hommage à la Nature, le visiteur découvre une salle dédiée au grand amour d’Hodler, sa muse, Valentine Godé-Darel, rencontrée en 1908. Cette jeune française devient son modèle et la mère de sa fille, Paulette. Ce bonheur familial sera malheureusement brisée par le cancer et la mort de Valentine en 1915. Hodler en laisse un témoignage bouleversant et tendre dans la  série de portraits de son amante dont la beauté décline peu à peu sous ses yeux. Une disparition qui marquera le style artistique du peintre par la dominance de l’horizontalité des lignes, “permanence de l’immobilité”.

Les dernières années de sa vie (1917-1918), il consacre son peu d’énergie à peindre la magnifique vue de sa chambre, située au 29 Quai du Mont-Blanc. Ce passionné de nature, ce paysagiste hors pair,  nous transmet dans ses vues du Léman  cette notion d’immensité de l’espace, magnifiée par son style abstrait…une vision planétaire du paysage si cher à son coeur. Toute sa vie, Hodler, hanté par l’idée de la mort, représentera ses états d’âme grâce à ce regard sur la nature. “On reproduit ce que l’on aime : cette figure plutôt qu’une autre ; on reproduit le paysage délicieux dans lequel on se plaît”… Le Léman et ses paysages ont nourri son être et son oeuvre jusqu’à la fin.

Musée de Pully

Chemin Davel 2
1009 Pully, Suisse

mardi au dimanche de 11h à 18h et le jeudi jusqu’à 20h.

En raison du caractère exceptionnel de l’exposition « Hodler et le Léman », l’entrée sera payante le premier samedi de chaque mois pour toute la durée de l’exposition.

Entrée gratuite pour les moins de 16 ans / Adultes (dès 16 ans) : CHF 15 /Étudiants, AVS, AI, chômeurs : CHF 12 / BCV Extra : une entrée offerte pour une entrée achetée

Nicolas de Staël Agrigente, 1954 Huile sur toile, 60 × 81 cm Collection particulière/ courtesy Applicat-Prazan, Paris Photo Annik Wetter © 2023, ProLitteris, Zurich