©Matthieu Gafsou, Feu I, de la série Vivants, 2019
Sonia Jebsen – septembre 2022
« La photographie aide les gens à voir » a dit Berenice Abbott. Cette citation prend tout son sens en visitant la rétrospective du talentueux photographe suisse, Matthieu Gafsou (1981) au Musée d’art de Pully.
La très esthétique mise en scène joue habilement des séries phares réalisées depuis 2006. Le voile du réel révèle la vision sincère et bienveillante d’un artiste conscient des défis pesant sur l’humanité.
A voir jusqu’au 11 décembre.
Matthieu Gafsou, la photographie pour raconter le monde
La photographie, le lausannois n’est pas tombé dedans étant petit. Ses études universitaires en philosophie, littérature et cinéma témoignent pourtant de ses intérêts et de ses préoccupations envers notre monde. D’une approche intellectuelle et méthodique, il envisage le journalisme, c’est sans compter sur un cadeau d’anniversaire qui va bouleverser la suite des évènements : un appareil photo numérique.
Matthieu Gafsou se pique au jeu, l’appareil ne le quitte plus. Il se forme aux différentes techniques en autodidacte, compulsant les livres de grands photographes. Encouragé par le succès d’une exposition collective à la maison Visinand, l’artiste indéniablement doué réussit l’intégration à l’Ecole de photographie de Vevey en 2006.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
450 images ont été sélectionnées par Matthieu Gafsou et Victoria Mühlig, conservatrice parmi ses travaux documentaires. Non chronologique, l’accrochage nous fournit les fils conducteurs permettant de décrypter l’approche du photographe. Ils ont pour nom : l’allégorie, l’ironie, le simulacre, le contrôle, la latence, l’altérité, le désenchantement et le territoire.
Au début de son parcours, le photographe de nature timide et angoissée travaille ses sujets avec distance contrôlant la mise en scène. « Surfaces » (2006-2008) et « Terres compromises » découlent de voyages en Tunisie et en Israël en lien avec ses origines paternelles. Il en résulte des images crues où l’humain n’est que suggéré… Des architectures de béton s’élevant dans le sable ou la pierre. Les paysages montagneux de sa série « Alpes » (2009-2012) joue de l’ironie entre la beauté majestueuse de la nature et du tourisme invasif, cause de tant de dégâts.
L’humain n’intéresse t’il Matthieu Gafsou que par ses travers, ses excès, sa course contre le temps, la fatalité de sa condition de mortel ? Alors le photographe va défier ironiquement la religion et côtoyer la mort dans l’univers des toxicomanes lausannois. « Sacré » et « Only God can Judge me » sont deux sujets très sensibles qu’il traite sous forme de portraits et de natures mortes. Le catholicisme prend alors des airs de vieille dame coquette avec ces prélats vêtus richement figés en prière, ou ces aubes attendant sagement leur tour dans une armoire.
La drogue touche tous les pans de la société, mais reste un sujet tabou. Les portraits de junkies au regard si doux ou ce coquelicot rouge sang grand format sur un mur du musée en disent long. L’esthétisme demeure au coeur de son approche artistique.
Des hommes branchés, connectés à des ordinateurs, pareils à des cobayes illustrent la série H+ (2015-2018) sur le transhumanisme. Cette quête d’immortalité et de super pouvoirs qui pourrait accoucher d’une humanité robotisée, informatisée ressemble à une « comédie humaine ». Les photographies seront exposées aux Rencontres d’Arles en 2018 !
La même année, un tournant s’enclenche dans son travail motivé par son éco-anxiété, les enjeux de notre humanité face aux multiples dangers environnementaux et sociétaux. Père de deux enfants, le jeune quadragénaire se lance dans un projet de longue haleine qui vient de s’achever. Son nom : « Vivants ». Il en fait une affaire personnelle, se délestant de certaines schémas tels que le contrôle ou l’approche scientifique présents dans ses séries précédentes.
Des grands formats sont exposés jusqu’à la fin octobre le long du quai Milliquet à Pully.
La série « Vivants » est accompagnée de huit pistes musicales tirées de l’album « Hystérésis » composé par le producteur et DJ lausannois Ripperton.