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Il existe à Genève quantité de trésors culturels et artistiques qui méritent une visite, de par l’architecture qui les abrite et bien entendu leur contenu. Nous nous rendons ce matin au 8, rue Munier-Romilly, à la Fondation Baur, élégant hôtel particulier (fin XIXe). La nouvelle directrice, Laure Schwartz-Arenales, a pris ses fonctions en Janvier 2018 et a repris le projet de l’exposition initié par sa prédécesseure, Mme Monique Crick. Nous avons contacté Mme Schwartz-Arenales qui nous a accordé un entretien pour nous raconter la genèse de l’exposition et son montage.

“Mille ans de Monochromes” concrétise la fusion des collections de deux passionnés de porcelaine chinoise qui ne se sont jamais rencontrés : Alfred Baur (1865-1951), homme d’affaires suisse et mécène, créateur de la Fondation, et le très prospère chef d’entreprise Richard Kan, de Hong Kong.

Au regard de leur biographie, on découvre de nombreuses similitudes entre les deux amateurs d’art asiatique. Et tout particulièrement, leur désir commun d’acquérir exclusivement des pièces d’exception, fruits de l’excellence des techniques affinées au fil des siècles par les artisans chinois. Les deux cents pièces monochromes ont pu être réunies pour la première (et sans doute) unique fois en Europe, d’une part grâce aux acquisitions d’Alfred Baur, entre 1928 et 1951, sur les conseils de l’expert japonais Tomita Kumasaku et d’autre part, la collaboration de Richard Kan, qui a émis le souhait d’exposer sa splendide collection du Zhuyuetang (pavillon du Bambou et de la lune). Le passionné devenu expert avec le temps, est en recherche constante de pièces monochromes exceptionnelles depuis la fin des années 80.

Coupe lobée
Porcelaine à glaçure turquoise
Dynastie Qing, marque et règne de Yongzheng (r. 1723-1735)
H. 6,5 cm ; d. 23,2 cm
@ Collection Zhuyuetang, photo Barry Lui

monochrome bleu fondation bar

Pour comprendre l’engouement de ces deux fervents collectionneurs à de nombreuses années d’intervalle, il est nécessaire de remonter le temps.

Comme toujours, quelques faits et dates historiques sont nécessaires pour comprendre le thème de l’exposition qui met en lumière le rôle prépondérant des dynasties chinoises Tang (618-906) et Song (960-1279) dans le développement et l’évolution des techniques de la céramique unicolore, et surtout le niveau de raffinement atteint durant les règnes des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911). L’ouverture vers l’Occident, initiée par les Tang, crée un courant d’influences artistiques sans précédent sur la céramique chinoise. Mais les troubles politiques internes de l’Empire engendrent repli et austérité dans tout le pays!

Changement de dynastie, changement de capitale, la Cour Impériale des Song quitte Changan (nord-est) pour s’installer à Hangzhou dans le sud avec à sa tête l’empereur Huizong (r. 1101-1125), esthète et artiste lui-même. Les métaux précieux trop coûteux sont remplacés par la céramique sur la scène artistique. Le grès et la porcelaine deviennent en vogue. Les décors tendent vers le minimalisme et le monochrome, aux formes simples et élégantes, à la couverte unie, font la réputation des potiers. Les innovations techniques se multiplient, notamment en matière de cuisson. L’élite lettrée de pensée confucéene encourage un style très épuré inspiré des éléments de la Nature et la fameuse cérémonie du thé (gong fu cha) qui devient une institution sacrée! Les fameux céladons, très appréciés de nos jours, ont notamment fait la réputation des potiers de la dynastie Song.

Coupe sur pied
Porcelaine à couverte transparente et émail jaune citron
Dynastie Qing, marque et règne de Qianlong (r. 1736-1795)
H. 8,3cm ; d. 16,9cm
© Collection Zhuyuetang, photo Barry Lui

Au cours du règne de l’empereur Hongwu (r-1368-1398), de la dynastie Ming, l’économie du pays reprend son essor et le centre de production céramique du pays situé à Jingdezhen (province du Jiangxi) devient Manufacture Impériale en 1369. Cette ville possède tous les atouts pour la fabrication : la pierre à porcelaine, le kaolin, et l’approvisionnement en eau grâce à la présence de rivières, élément indispensable à la fabrication et au transport. De plus, Hongwu décrète en 1369 l’utilisation prépondérante de la céramique pour les rites officiels et sacrés faisant passer les métaux au second rang. L’engouement de l’élite et de la population pour la porcelaine fait naître une multitude d’ateliers contrôlés par le Ministère des Travaux, lui-même supervisé par l’Empereur. A la cour et dans les temples, la porcelaine monochrome, sous forme de plats, jarres et bols, se décline sous différentes couleurs selon l’usage et le lieu. Vous découvrirez durant la visite la mise en scène colorée mêlant le blanc, le rouge, le bleu foncé et le jaune, à connotation sacrée, et d’autres variations chromatiques, telles que le noir, le brun, le turquoise, le vert ou le rouge de fer qui, associées à la pureté des formes, font des oeuvres exposées de véritables “joyaux”!

La dynastie Qing (1644-1911), originaire de Mandchourie, succédant aux Ming, garant des traditions, relance la production de porcelaine grâce notamment à trois empereurs collectionneurs jouant le rôle de mécènes : Kangxi (r.1662-1722), Yongzheng (r. 1723-1735) et Qianlong (r. 1736-1795). Des Alfred Baur et Richard Kan d’une autre époque! Ils feront rayonner tous les trois la porcelaine comme un don du Ciel et de la Terre réunis, dans cet immense pays qu’est la Chine et au-delà de ses frontières. Assistés d’intendants très qualifiés, les artisans créent une grande variété de monochromes grâce aux couleurs issues des oxydes métalliques contenus dans différents minéraux. Pour illustrer ces aspects techniques, la dernière section de l’exposition montre un choix de minéraux prêtés par le Muséum d’histoire naturelle de Genève.

A droite : Ulanara (1718-1766), deuxième épouse de l’empereur Qianlong
Attribué à Jean-Denis Attiret (1702-1768)
Huile sur papier, vers 1750-1760
Musée des Beaux-Arts de Drôle
© Musée des Beaux-Arts de Dôle. photo Jean-Louis Mathieu

A gauche : Portrait de l’Empereur Qianlong (1711-1799)
Charles-Eloi Asselin (1743-1804) d’après une aquarelle de Giuseppe Panzi (1734-après 1792)
Musée des Châteaux de Versailles et de Trianon
@ RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Michèle Bellot

Mille ans de monochromes met en lumière, au travers de l’histoire mouvementée des dynasties chinoises, l’évolution  de la porcelaine, son évolution et son importance capitale dans la vie économique, politique, sociale et artistique de ce pays. Pour illustrer ce propos, vous découvrirez à la Fondation Baur deux portraits réalisés par deux peintres français du XVIIIé, Charles Eloi Asselin (1743-1804) et Jean-Denis Attiret (1702-1768) : celui de l’Empereur Qianlong et de sa concubine Ulanara (1718-1766) surnommée la “Joconde chinoise”, grands amateurs de porcelaines. Quand le siècle des Lumières rencontre la Chine Impériale… La Fondation Baur accueille comme un écrin les monochromes de deux grands collectionneurs passionnés, et experts qui ont compris le caractère intemporel de ces oeuvres qui vous paraîtront d’une modernité indéniable!

Nous remercions cordialement Madame Schwartz-Arenales, la directrice de la Fondation, pour son accueil chaleureux, les informations qu’elle nous a fournies sur cette exposition et son ouverture d’esprit qui augure de beaux évènements au sein de cette institution de grande qualité.

Fondation Baur, Musée des Arts d’Extrême-Orient

Rue Munier-Romilly, 8

1206, Genève, Suisse

Mar-Dim : 14h – 18h

tel : +41 (0)22 704 32 82

mail : musee@fondationbaur.ch

fondation bar
Willem Speerstra, portrait, novembre 2020