Juillet 2019 – Sonia Jebsen & Claire-Alice Brenac

Genève, la Perle du Lac

« Chaque artiste s’invente un nom de code , un blaze en argot… »

SAVE THE DATE

12 juillet, après-midi, ID ROOM, Chêne-Bourg, GE, rencontre/décicace exceptionnelle avec SAYPE

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Sonia Jebsen : Bonjour Saype, merci d’avoir accepté cet entretien téléphonique. Première question qui nous brûle les lèvres. Pourquoi cet alias Saype ?

Saype :  J’ai débuté par la peinture à 14 ans puis je me suis orienté vers le graffiti et dans ce milieu chaque artiste s’invente un nom de code, un blaze en argot. Jouant avec la calligraphie, j’aimais beaucoup les trois lettres : SAY, qui signifie dire en anglais, auxquelles j’ai rajouté PE, contraction de peace, mon alias était tout trouvé : dire la paix, SAYPEACE… SAYPE. Le graffiti représentant souvent un acte de rébellion, de désobéissance, j’ai aimé le paradoxe avec ce nom.

Sonia Jebsen : D’où venez-vous et où vivez-vous actuellement ?

Saype : Je suis né à Belfort, puis je suis arrivé en Suisse, à Moutier, en 2011 pour travailler comme infirmier à l’hôpital du Jura Bernois, et j’y vis toujours.

Sonia Jebsen : Vous avez eu  30 ans cette année, et votre carrière artistique rencontre un succès rapide en tant que graffeur et artiste land art. Comment l’expliquez-vous ?

Saype : Il y a deux raisons à cela. En 2012, j’ai créé ma technique de peinture sur l’herbe, pour moi un lien entre le street art et le land art. C’est une matière bio -dégradable dont je détiens le secret. Et en parallèle, je travaille en atelier, de manière plus intimiste, au moyen d’une technique mélangeant le plexiglas et la peinture sur toile, que je pense être le seul à utiliser. De ces oeuvres peintes nait un relief, comme vu derrière une vitre. J’ai été invité à exposer dans des galeries de grande qualité au même moment où je commençais à être connu pour mon travail land art. Ce qui explique sans doute cette reconnaissance accélérée.

Paris, Champ de Mars

« Pour nourrir la petite troupe, moi je faisais des toiles et eux les vendaient à la sauvette sur les promenades nocturnes… »

Sonia Jebsen : Quand et où a lieu votre première exposition ?

Saype :  La première fois que j’ai exposé, j’avais 16 ans et c’était dans une galerie à Agde. C’est arrivé par hasard. En fait, entre 15 et 18 ans, nous étions une bande de copains qui partions chaque année dans le sud de la France.Pour nourrir la petite troupe,moi je faisais des toiles et eux les vendaient à la sauvette sur les promenades nocturnes. C’était un moyen de financer nos vacances. C’est une manière de fonctionner que j’ai conservée à ce jour. Deux assistants sont à mes côté sur les installations land art, pour la logistique principalement (autorisations…). Vu l’ampleur de mes performances, leur aide est indispensable. Ils m’accompagnent dans cette belle aventure de groupe depuis le début.

Sonia Jebsen : Quels sont vos médiums favoris ?

Saype :  En atelier, j’utilise l’acrylique principalement. Mon outil préféré est l’aérographe, un petit pistolet à peinture sous pression qui donne des effets similaires à la bombe, et des pinceaux. En extérieur, j’ai inventé la technique, le procédé. Je peins en wireless. Il s’agit d’un gros pinceau utilisé par les peintres en bâtiment qui permet un travail rapide. Et pour assurer l’impact zéro de mes fresques géantes, j’ai inventé la peinture adéquate, 100% nature et biodégradable. Sur certains projets land art, l’équipe varie mais normalement, nous sommes trois. Je suis le seul à peindre par contre. Mes assistants eux préparent la peinture au fur et à mesure de la performance. Ils installent les barrières pour protéger le travail et gèrent le ballet incessant de curieux. Il faut que je reste concentré sur le job.

 » Je le (l’art) considère comme un moyen de véhiculer des messages politiques et sociaux au-delà  du côté esthétique et émotionnel. »

Sonia Jebsen : Vous avez fait le buzz en septembre 2018 à Genève, à la Perle du lac avec une fresque géante. Rebelote le 16 juin dernier à Paris, sur le « terrain de jeux » du prestigieux Champ de Mars. Est-ce le point de départ d’un marathon tour du monde dans le cadre du projet “Beyond Walls » ?

Saype : (Eclat de rire) Tout à fait. A l’origine de ce projet, il y a ma vision de l’art. Je le considère comme un moyen de véhiculer des messages politiques et sociaux au-delà  du côté esthétique et émotionnel. Pour preuve, en 2018, à la Perle du lac, la fresque représentait un véritable engagement de ma part pour l’association SOS Méditerranée. Elle a été vue par 120 millions de personnes! Et plus incroyable encore, la Confédération Helvétique a demandé un pavillon pour le bateau Aquarius, bloqué à quai à ce moment-là.

Voilà un impact direct de mon travail qui a injecté beaucoup d’enthousiasme dans l’équipe. Raison pour laquelle nous nous lançons ce défi, Beyond Walls, dont le but est de créer la plus grande chaîne humaine au monde. Car ce n’est que dans la coopération et le dialogue que nous pouvons trouver les solutions aux challenges contemporains. Bien sûr, nous n’avons pas l’ambition de changer le monde, mais nous agissons comme des “porte voix” pour une grande partie de la population.

Paris, Champ de Mars

« Pareil à un artiste sur scène ou un sportif en action, je marche à 100% d’adrénaline… »

Sonia Jebsen : Que ressentez-vous lorsque vous êtes en action ? Quelle satisfaction retirez-vous du caractère éphémère des fresques ?

Saype : Pareil à un artiste sur scène ou un sportif en action, je marche à 100% d’adrénaline (rires).

Et je me dois de rester très concentré. Il y a des données qu’on ne peut dominer comme la météo, ce qui exige flexibilité et réactivité de notre part. Pour moi, la force de ce travail est dans le caractère éphémère car l’impact est réel sur les esprits, mais pas sur la nature. C’est ce qui crée la magie aussi de ces performances.

Un exemple, la fresque réalisée sur les pâturages à Leysins en 2016 fait encore parler d’elle aujourd’hui! L’art éphémère reprend de la vigueur avec l’arrivée de nombreux artistes soucieux de l’écologie, du rapport à la nature et je fais partie de ce mouvement.

Leysin, Vaud

« La signification de la buée vient du bouddhisme qui aborde les sujets du voile, de l’ego… »

rencontre/dédicace le 12 juillet après-midi
ID ROOM-Chêne-Bourg

Sonia Jebsen : En parallèle de votre travail land art, vous créez en atelier des oeuvres plus intimistes. Le public peut les découvrir à la galerie IDROOM, à Chêne-Bougeries, depuis le 25 juin dernier. Comment les décrivez-vous ?

Saype : C’est un travail principalement autour de paysages suisses. Je capte des moments de vie et les mets en scène grâce à l’effet de buée et du thème du voyage. Lorsque j’étais plus jeune, je me suis beaucoup interrogé sur le libre arbitre et me suis documenté à ce sujet au travers de lectures. J’ai commencé par peindre des personnes en noir et blanc dans le métro évoquant le côté déterministe de leur quotidien. Puis, j’ai voulu voir la vie d’un côté plus positif, alors j’ai pris la place de ces gens regardant vers l’extérieur. La signification de la buée vient du bouddhisme qui aborde les sujets du voile, de l’ego et dans mes oeuvres reflète l’impermanence, du temps qui passe et ce voile de l’ego qui cache souvent l’essentiel. Les oeuvres exposées à la galerie font penser à des photos, mais il s’agit bien de peinture sur toile recouverte de plexiglas embué au pinceau et à l’aérographe. Elles prennent un caractère holographique intéressant.

rencontre/dédicace le 12 juillet après-midi
ID ROOM-Chêne-Bourg

« Nous performerons à Genève dans plusieurs parcs entre fin août et fin septembre. A l’heure actuelle, nous cherchons un partenariat privé pour nous financer autour du monde… »

Sonia Jebsen : Comment vous préparez-vous pour un projet aussi gigantesque que « Beyond Walls » (logistique, financement, sponsoring, météo) ?

Saype : Pour revenir au Champ de Mars, à Paris, c’était la première fois qu’un artiste performait sur ce lieu emblématique. Nous avons obtenu l’autorisation de fermer la zone durant deux semaines. C’était la première étape de Beyond Walls, un projet très compliqué qui a exigé six mois de préparation et est toujours en construction. Sur place, nous sommes restés 2 semaines. Un exploit physique, car nous avons travaillé non stop de 7h à 1h du matin sur une superficie de 15’000 m2! Avec des conditions météo très mauvaises (pluie, grêle)! 30’000 personnes visitent le site du Champ de Mars chaque jour, incroyable ! Au niveau sécurité, ce n’était pas évident, et on craignait la réaction face à la fermeture de deux semaines, mais le public a joué le jeu, que du positif en retour.

Côté financement, cela dépend du projet. En 2018, pour SOS Méditerranée, j’ai géré 100% pour coûts. Sinon, certaines marques commerciales me sponsorisent validant leur engagement en faveur du développement durable ( 40 entreprises à ce jour, Patagonia, Nature & Découverte…). Une sorte de crowdfunding et j’aime l’idée. Nous performerons à Genève dans plusieurs parcs entre fin août et fin septembre. A l’heure actuelle, nous cherchons un partenariat privé pour nous financer autour du monde (plusieurs millions d’euros) et une vingtaine de villes (Andorre en juillet, Berlin en octobre, Cape Town..). Je rajouterai que des lithographies vont être réalisées en relation avec les différentes fresques dont la vente financera également ce vaste projet. >>>

”On avance dans la direction dans laquelle on regarde”…

Sonia Jebsen : Quand vous pensez à l’avenir, comment vous projetez-vous ?

Saype : Honnêtement, je ne me projette pas, je marche à l’instinct. Je ne me pose pas de questions. Je fonctionne aux émotions. Vous savez, il y a quelques années j’ai dit à un ami : “Un jour, je ferai le Champ de Mars” et il m’a pris pour un fou, et pourtant, c’est arrivé! Quand je suis entré dans le bureau de la maire de Paris, Anne Hidalgo, elle m’a dit : “Ton projet est très ambitieux, te rends-tu compte  de ce que cela implique ?” J’ai répondu : “No problem, on va le faire”. Pour Beyond Walls, cela prendra peut-être cinq ans à le réaliser.Le projet est toujours en construction et semble fou, je l’avoue. Mais je suis un optimiste à 100% et je dis souvent :”On avance dans la direction dans laquelle on regarde”. Formé comme infirmier et suite à mes études de kinésiologie, j’ai appris que le cerveau ne fait pas la différence entre le noir et le blanc. Si on regarde le noir, on crée du négatif, on ne voit que le problème et pas les solutions. C’est le sujet de mon travail et du message qu’il véhicule…

ID ROOM

Rue du Vieux-Chêne, 2

1224 Chêne-Bougeries, Suisse

tel : +41 78 951 33 23

© toutes les images utilisées ont été fournies par Saype et ID Room