Virginie Hours – septembre 2017

Titeuf

à fond le slip ! 

Tome 15

Zep

Editions Glénat

Entre nous, avez-vous déjà lu Titeuf ? Dans notre bibliothèque, trône un unique exemplaire. Pour moi, Titeuf était comparable au Gaston Lagaffe de mon époque que ma mère ne souhaitait pas me voir lire au motif qu’il parlait par onomatopée, M’enfin. Mais à  l’occasion de la sortie du 15ème album de Titeuf et dans la perspective de ma rencontre avec l’auteur, me voici plongée dans l’univers de Zep ! Et là, surprise…

Ai-je grandi ou régressé ? Je ne sais plus. Mon côté potache remonte vite à la surface (moi, je sais péter avec l’aisselle), mon mode de lecture évolue (un centre d’intérêt est un centre commercial avec des choses intéressantes dedans), je lis les différentes pages, tantôt avec mes yeux de parents, tantôt avec ceux de mes enfants (ou de moi, enfant ?). Pourtant les sujets abordés ne sont pas toujours drôles, à l’image de notre société d’aujourd’hui : dangers d’internet, fake news, extrémisme, pornographie. Les parents sont aussi remis à leur place, dans leur désir d’être tout puissants et d’avoir réponse à tout. Mais d’autres gags sont plus légers (les élections) ou intemporels (les difficultés du lave-vaisselle). Est-ce un appel à la schizophrénie ? Pourquoi pas…

En tous cas, c’est certainement un album à laisser trainer dans son salon, pour que chacun le lise avec sa grille et que les discussions puissent ensuite s’enclencher, à l’heure où Christian Georges, responsable de la Semaine des médias à l’école, rappelle que «l’éveil à l’esprit critique par rapport à l’information est un objectif du Plan d’études romand, à tous les âges de la scolarité obligatoire».

Car pour Zep et Titeuf, le postulat est simple: « Tout l’imaginaire que l’enfant met en route pour comprendre le monde non seulement est génial à construire mais construit aussi l’adulte qu’il va devenir. Est-ce qu’il deviendra quelqu’un de créatif et qui cherche des réponses ou celui qui va avaler tout cru celles qu’on lui donne ? J’espère que les enfants en lisant Titeuf seront plus du premier groupe… »

ⓒ Zep / Glénat

Virginie Hours : L’album précédent de Titeuf était construit différemment puisqu’il ne racontait qu’une seule et même histoire et que Titeuf devenait adolescent… Avec ce nouvel opus, vous souhaitez revenir au Titeuf originel ?

Zep : Même si j’ai fait deux longues histoires et écrit un long métrage pour le cinéma, le format zapping de page en page est plus mon Titeuf naturel car il permet de passer d’un sujet à un autre, de choses sereines à d’autres complètement débiles ou plus potaches, avec toute la rapidité des enfants de cet âge-là. Car pour moi, ce qui fait l’enfance, c’est bien ce côté « zapeur, » …

VH : Vous avez déclaré dans une interview que ce sont vos souvenirs d’enfance qui alimentent vos histoires mais dans cet album, certains sujets traités (pornographie, terrorisme) sont durs et n’existaient pas dans les années 70-80.

Zep : C’est clair que quand j’écris par exemple une histoire sur les réseaux sociaux ou sur Internet, ce n’est pas mon enfance. Mais quand j’écris Titeuf, je suis Titeuf et je suis de nouveau pleinement enfant même si l’écriture est plus difficile puisque c’est très différent de ce qui se passait à mon époque.

VH : Comment vous positionnez-vous en tant que parent, vis-à-vis de vos enfants?

Zep : En tant que parent et adulte, j’ai une certaine position par rapport à ces sujets mais quand je suis dans la peau de Titeuf, je n’essaie pas d’écrire « attention, ce n’est pas bien… passez plus de temps au soleil que sur vos smartphones » (ce que je dis à mes enfants et mes enfants trouvent que je suis un dinosaure quand je parle comme ça). Avec Titeuf, je n’essaie pas d’être un éducateur.

VH : Comment trouvez-vous les sujets qui vous inspirent ? Les discussions avec vos enfants ? Les journaux ?

Zep : Je vois leur quotidien, les actualités. Mais quand je suis Titeuf, je ne me dis pas : « il faut que je parle de ce truc car on en parle énormément dans la presse… » C’est quand j’ouvre mon carnet de Titeuf (car j’ai des carnets dans lesquels je note mes idées) que plus naturellement, des connexions vont se faire et des histoires vont sortir ou pas.

VH : Vous dites que vous êtes comédien quand vous écrivez

ZEP : Oui, c’est un personnage qui me prend et je suis dedans…

VH : D’après vous, est-il plus difficile de rester enfant aujourd’hui qu’à votre époque, quand vous étiez petit garçon à Carouge ?

Zep : C’est impossible à dire car il y a une vision du monde qui est différente. Pour nous, à leur âge, tout était très lointain. On ne savait pas ce qui existait au-delà de Genève… Maintenant, avec Internet, les enfants peuvent être connectés avec des gens qui sont à l’autre bout de la planète et ils reçoivent directement des informations qui ne passent pas par le filtre des parents. C’est comme ça et on ne peut pas aller contre la société qui continue d’évoluer. En revanche, il me semble qu’il y a plus de perspectives d’avenir ou d’utopie. Par exemple, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, un enfant de 12 ans qui dit qu’il veut être cosmonaute va trouver sur internet des témoignages d’autres enfants qui sont devenus cosmonautes et vont lui permettre de penser que c’est possible. Quand j’étais gamin et que je disais que je voulais faire de la BD, mon professeur se moquait de moi et me disait que c’était un métier qui n’existait pas. Or, j’avais des BD à la maison que forcément quelqu’un avait du dessiner. Mais tout était mystérieux…

VH : Et c’est aussi une source d’inspiration ?

Zep : Oui car maintenant, les enfants piochent dans un flot d’information immense pour se composer une vision du monde qui est peut être faite de 50% de vrai et de 50% de n’importe quoi. Par exemple, tous ces enfants qui croient aux théories complotistes existaient déjà dans les années 70 mais ils n’étaient pas alimentés sauf par des rumeurs. A présent, il y a des sites où comme Loïc l’illuminé, ils peuvent trouver tous les jours de nouvelles théories. Mais quand on est enfant, on ne sait pas faire la différence. Et là c’est clair que quand j’écris, c’est un bon matériau pour moi !

ⓒ Zep / Glénat

VH : Vue votre notoriété, n’avez-vous pas le sentiment que vous pourriez jouer un rôle ou apporter une certaine vision de la vie à vos lecteurs ?

Zep : Non car je ne crois pas avoir plus de poids que d’autres.  Par exemple concernant le thème des attentats, je n’ai rien à apporter de plus qu’un sociologue ou un politicien mais je vais en parler car c’est un sujet qui occupe la sphère de discussion des adultes et des enfants et qui a transformé nos vies ces dernières années. En revanche, comme je pense que j’ai la faculté de permettre aux gens de rire ensemble, je vais montrer que c’est un élément dont on ne doit pas avoir peur mais que l’on peut évoquer avec humour.

VH : Vous regrettez que nous, les adultes, perdions notre part d’enfance…

Zep : Souvent, quand on demande à des gens comment était leur enfance, je suis assez stupéfait de voir qu’ils en ont un souvenir très précis… dont  ils ont souvent fabriqué une grande partie suite à leur évolution personnelle (à l’adolescence, comme étudiant, comme parent…). Ils oublient qu’une partie de leur enfance était moins pure, moins noble, moins téméraire… mais qu’une autre était composée de grandes aspirations et de grands élans  ! Or,  j’ai envie de raconter cette part de l’enfance « oubliée ». Je n’ai pas envie de faire une BD qui est correcte et rassure les parents, comme Boule et Bill par exemple.

VH : Quel est le lectorat de Titeuf ?

Zep : Au tout début, j’étais surpris que des enfants lisent Titeuf car je pensais que ce serait plutôt des adultes qui viendraient retrouver cette part oubliée. Mais les enfants ont expliqué qu’ils aimaient Titeuf « parce que Titeuf ne nous prend pas pour des imbéciles. » J’aime bien cette réflexion car elle est toute simple mais elle met le doigt sur un truc vrai : la littérature jeunesse ou les BD pour enfants étaient faites par des adultes qui pensaient avoir une mission d’éducateur. Or, si on est un éducateur, on ne va pas être du côté des enfants ; on va être donneur de leçon, celui qui sait alors que c’est important de dire aux enfants que sur beaucoup de sujets, nous les adultes ne savons pas mieux qu’eux. Le reconnaître permet de ne pas leur mentir. Dans « chacun son tour », Titeuf se rend compte que ses parents lui racontent n’importe quoi mais il doute quand même…

VH : La BD est déroutante. Ma fille ainée a beaucoup aimé mais ma plus jeune a moins accroché car elle s’est dite gênée…

Zep : Je ne suis pas étonné. A la télé, quand on demande aux enfants s’ils aiment Titeuf, la plupart répondent par l’affirmative mais en précisant qu’ils ne sont pas obsédés comme lui… En fait, Titeuf se pose plein de questions qui sont naturelles à cet âge-là mais les enfants ne veulent pas forcément que leurs parents sachent qu’ils se les posent. Peut-être comme votre plus jeune fille.

VH : Nous avons un faible pour le personnage de Thérèse…

Zep : J’essaie de ne pas faire d’histoires qui font rire les enfants au détriment des autres enfants ou qui se moquent de leur naïveté. Titeuf  déteste Thérèse car il la trouve stupide mais très souvent, sa stupidité est plutôt un bon sens qu’il n’a pas et elle lui sauve la mise par son côté complètement largué…

VH : A fond le slip… Ca vient d’où ?

Zep : Dans Titeuf, il y a souvent « slip » qui fait parti des mots transgressifs qu’il utilise beaucoup. « A fond le slip » signifie qu’il est à fond sur tout, une vraie pile électrique. Il a une énergie, il ne s’arrête pas. Il a toujours envie de comprendre… Finalement, c’est sa curiosité qui ne s’arrête jamais !