Virginie Hours – août 2017

« 120 battements par minute », le film coup de poing.

« Je ne vais pas choper votre connerie de sida, je ne suis pas pédé » déclare une jeune fille à deux militants d’Act Up venus en parler dans son lycée.

Cette position ressemble à celle que j’adoptais dans les années 90 vis-à-vis de l’association et des manifestations en général liées à cette maladie : leur combat ne me concernait pas et « ils » en faisaient trop, « ils » n’avaient qu’à mettre des capotes ou être fidèles !

Près de 20 ans plus tard, le film de Campillo, qui a lui-même milité dans l’association à ses débuts, m’a plongée dans une autre dimension. Il ne fait pas la morale, ne vise pas à culpabiliser mais fait toucher du doigt ce que les militants ressentaient dans leurs tripes et pourquoi ils étaient amenés à parfois choisir l’extrême, comme jeter des sacs de faux sang dans les locaux de certaines entreprises pharmaceutiques.

Il nous transporte simplement dans le quotidien de l’association, les assemblées générales, les réflexions sur les actions à mener, les réunions avec les professionnels de santé, les engueulades et les tensions.

Pas de pathos mais un sentiment d’urgence à agir face à cette mort qui plane sur tous ceux qui sont séropositifs, mêlé à cette énorme envie de vivre qui les fait danser ou continuer de s’aimer. Je me suis attachée à tous ces personnages et à leur combat, aussi bien à Sean qui est en sursis, qu’à la mère et son garçon hémophile qui déclare « je me suis engagée avec vous car vous étiez les seuls à vraiment agir. »

Un film marquant.

Rencontre avec Simon Guélat à l’occasion de la sortie du film « 120 battements par minute » de Robin Campillo qui a obtenu le Grand Prix du Jury au dernier festival de Cannes, dans lequel il incarne Markus.

Simon Guélat, né en 1985, est originaire de Bure en Suisse. Il suit une formation d’acteur à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande à Lausanne, plus connue sous le vocable de « La Manufacture ») dont il sort diplômé en 2007. Acteur complet, il joue aussi bien au théâtre,  notamment au théâtre du Loup à Genève et à l’Arsenic à Lausanne, qu’au cinéma, dans «Ma nouvelle Héloïse», de Francis Reusser en 2012.

Parallèlement, il suit une formation en réalisation documentaire et présente  son premier film comme réalisateur, le court métrage « Cabane, » au festival de Locarno en 2016. Dans le cadre de sa formation aux Ateliers Varan à Paris, il réalise également un court métrage documentaire, « Chahine », qui a été sélectionné cette année au festival Visions du réel à Nyon et au festival Chéries Chéris à Paris au mois de novembre 2017.

Virginie Hours : Etre comédien est votre aspiration depuis toujours ?

Simon Guélat : J’ai d’abord découvert le théâtre en amateur dans le canton du Jura où je suis né. Puis j’ai suivi une maturité en option « théâtre » au Lycée. C’est de là qu’est née l’envie d’en faire mon métier. J’avais un professeur incroyable (Germain Meyer) qui m’a ouvert à tout un pan de l’histoire théâtrale.

Aujourd’hui, je vis à Paris, mais je reviens régulièrement en Suisse pour travailler au théâtre. Ça me convient très bien, je trouve un équilibre à être entre les deux pays : comme Paris peut devenir étouffant sur la longueur, je suis heureux de retrouver plus de calme à Lausanne.

VH : Avant de lire le scénario  et de faire le film « 120 battements par minute », que saviez-vous d’Act Up et des années 90 ?

SG : Je connaissais l’existence d’Act Up. J’avais des images en tête, comme la capote sur l’obélisque, les « die-in », mais je n’avais pas conscience de l’indifférence générale de l’époque et à quel point leur combat était nécessaire.

Dans le film, mon personnage Markus fait partie de la commission médicale à Act Up, il réfléchit donc à une manière de collaborer avec les firmes pharmaceutiques pour avoir accès aux nouvelles molécules. Son approche rentre en conflit avec d’autres membres du groupe qui sont pour des actions plus radicales et n’attendent plus rien des pourparlers. Mais même si Markus défend le consensus, il ne le fait pas mollement, il le fait avec un engagement total, parfois avec violence, parce qu’il sait que ses jours sont comptés.

C’était émouvant de fouler le tapis rouge au festival de Cannes avec toute l’équipe du film. Impressionnant aussi. Mais le moment le plus fort était après la séance, de sentir l’émotion du public.

VH : Vous êtes également réalisateur de court-métrage. Pourquoi l’envie de passer derrière la caméra ?

SG : J’ai ce désir depuis très longtemps, mais j’ai mis du temps à me sentir légitime et à me lancer vraiment. Je crois que faire mes propres films me permet de mieux tenir debout, de moins dépendre du désir des metteurs en scène. Et puis, l’un et l’autre se complètent. Par exemple, mon expérience du jeu m’aide beaucoup dans la réalisation. Cette envie vient peut-être aussi de mon expérience à la Manufacture. C’est un lieu qui a une vraie identité et qui est ouverte sur la création contemporaine. Elle tend aussi à rendre les acteurs autonomes, à développer l’univers de chacun. Beaucoup de comédiens sont d’ailleurs passés à la mise en scène après l’école.

VH : Quels sont vos prochains projets ?

SG : Je suis un projet de théâtre/performance pour lequel j’ai participé à la mise en scène et dont la première a eu lieu fin 2016 au Théâtre de l’Arsenic. Il s’agit d’un solo autour de l’identité de Julia Perazzini (Holes and Hills). ll partira en tournée à partir de cet automne, à Berlin d’abord, puis à Genève (Théâtre Saint Gervais), à Neuchâtel, et à Paris (Centre culturel suisse). Enfin, je prépare un prochain court-métrage de fiction inspiré d’un roman de Charles-Ferdinand Ramuz que l’on devrait tourner au printemps prochain.

120 battements par minute

de Robin Campillo

avec

 Nahuel Perez Biscayart, Adèle Haenel, Arnaud Valois, Antoine Reinartz, Simon Guélat.

Sortie en France et en Suisse romande : 23 Août 2017

Sortie en Suisse allemande : 18 janvier 2018