Sonia Jebsen – novembre 2023
L’automobile, icône de la société de consommation et objet de désir, est une source d’inspiration intarissable pour les artistes. Expression de la liberté individuelle, de pouvoir ou de statut social, ce moyen de transport est aujourd’hui au coeur des débats sur l’écologie et les économies d’énergie. L’artiste suisse Boris Gratry s’est emparé de ce sujet de manière presque obsessionnelle depuis des années. Ses sculptures murales « brillamment rouillées » sont exposées à Confédération Centre jusqu’au 15 décembre.
L’exposition « Art of rust » est le fruit de la collaboration entre Joy de Rouvre et Arnaud Lambert de la galerie Calamart.
Boris Gratry
Artiste suisse d‘origine russe, Boris Gratry est un architecte d‘intérieur et un scénographe explorant les limites de l‘art installatif. Il obtient son CFC de dessinateur d‘intérieur à la haute école d‘art et design de Genève (HEAD) et poursuit ses études par un Bachelor en architecture d‘intérieur et scénographie à l‘académie des arts appliqués de Bâle (FHNW Basel). Il a participé à l’élaboration de nombreux projets d’envergure internationale au sein des cabinets d’architecture Group 8 et l’Atelier de son mentor Uwe Brückner. De retour en Suisse, il a travaillé comme assistant de plateau au Grand Théâtre de Genève. Depuis 2011, il se consacre à la sculpture monumentale dont le processus fait souvent l’objet de performances publiques.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Aux murs de l’espace, les vestiges de carrosseries recyclées par l’artiste affichent leur inquiétante beauté. Au centre trône une voiture presque entièrement immergée dans une masse noire dont émane une forte odeur de pétrole.
Sonia Jebsen : Vous soufflez le chaud et le froid durant le processus de création en vous inspirant de techniques artistiques japonaises. Expliquez-nous.
Boris Gratry : La culture et l’esthétique du Japon me passionnent depuis toujours. J’ai inconsciemment intégré les techniques du raku et du kintsugi à ma création. Comme pour la céramique, les tôles d’acier sont calcinées à 1000 C, dans le but d’obtenir les teintes oxydées de la calamine. Lorsque les pièces sont encore rouges, je les asperge d’eau glacée. Ce choc de température crée des reliefs et apporte d’autres nuances de couleurs.
Sonia Jebsen : Quelle signification a le feu dans votre travail ?
Boris Gratry : Pareil au phoenix qui renaît de ses cendres, les pièces sont mises à nu. Cette épreuve du feu a une connotation tribale, comme un rite initiatique, un passage à un autre état.
Sonia Jebsen : S’ensuit un temps de corrosion des pièces puis l’embellissement grâce au kintsugi. Donnez-nous les raisons de tout ce processus.
Boris Gratry : J’abandonne les plaques au bon vouloir de la nature. Selon leurs dimensions, elles demeurent sous les feuilles et la terre de trois mois à huit ans ! J’obtiens ainsi l’effet de rouille souhaité. L’art du kintsugi permet de réparer des objets brisés pour prolonger leur vie. C’est lors de la dernière étape qu’il intervient. J’applique des feuilles d’or 24 carats sur les « blessures » des oeuvres finalisant leur processus de transformation.
Une collaboration Calamart et Joy de Rouvre du 3 novembre au 15 décembre au 1er étage de Confédération Centre à Genève
renseignements : Joy de Rouvre +4179 614 50 55
Sonia Jebsen : Quel autre objet de la société de consommation pourrait remplacer la voiture actuellement ?
Boris Gratry : Le téléphone portable probablement. Car il a envahi notre vie quotidienne, détruit les liens sociaux et alimente le niveau de pollution planétaire.
Sonia Jebsen : Vous qualifiez-vous d’artiste écologiste?
Boris Gratry : Ni moi, ni personne ne peut se qualifier ainsi de nos jours. Nous possédons tous un téléphone portable, une voiture, nous achetons des produits fabriqués à l’étranger. Les seuls véritables écologistes seraient les fermiers en autarcie ou les bergers refusant toute technologie. La vraie conscience écologique n’adviendra que dans les générations à venir. Nous sommes toujours prisonniers de nos habitudes de consommation, de nos réflexes. Seule une élévation de la conscience en masse peut nous aider à construire un monde meilleur.
Si il n’avait pas eu la fibre artistique, le passionné de mathématiques et physique aurait été… scientifique. Les artistes dont il admire le travail s’appellent Richard Serra dont l’art sensoriel l’a mené vers la scénographie, Jean Tinguely, Anselm Kiefer et Gerhard Richter.