Sonia Jebsen – mars 2022
« Voir le monde de ses yeux est mille fois mieux que n’importe quel rêve. » a écrit Ray Bradbury. Cette citation colle à merveille à la personnalité de l’artiste Marianne Herjean. La jeune femme s’est embarquée pour un périple ferroviaire de Genève à Téhéran. Dans un monde miné par une crise sanitaire et la guerre en Ukraine, il fallait oser… Marianne se dévoile en douceur dans l’entretien qu’elle nous a accordé par mail.
Sonia Jebsen : Avant d’entamer le sujet de votre voyage, parlez-nous de votre parcours et de votre installation à Genève.
Marianne Herjean : Je suis diplômée en design d’espace (architecture d’intérieur, scénographie) puis l’école du paysage de Versailles. Par la suite, j’ai obtenu un Master à l’Ecole européenne de l’image à Angoulême.
Après mes études, je me suis envolée vers les Caraïbes pour travailler comme architecte paysagiste au conservatoire de botanique des Antilles françaises. De retour en Europe, j’ai trouvé un emploi dans l’agence Oxalis à Genève co-tenue par Blaise Bourgeois, Hikari Kikuchi et Nicolas Ferraud. Il y a un an, j’ai décidé de cesser cette activité pour me consacrer entièrement à la peinture et au dessin (ma pratique personnelle et sa pédagogie).
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Sonia Jebsen : Vous avez quitté la Suisse pour un périple à destination de Téhéran. Votre goût de l’aventure et du voyage est-il un héritage familial ?
Marianne Herjean : J’ai lu l’histoire de ma famille bretonne, des hommes constamment sur la mer, des histoires de chameaux, de marchands de vins, de naufrages, … J’ai découvert ce grand-père inconnu, jeune et beau sur les petites photos sépia, au Vietnam, en Afrique du Sud, à San Francisco. Cela m’a éclairé sur mes origines.
Pour illustrer ma réponse, je citerai Nicolas Bouvier dans L’usage du monde : » Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. »
Outre une dimension écologique importante à mes yeux, me mettre en chemin par la terre est l’immersion la plus engagée dans cette quête d’interaction avec le paysage. Je vais à la rencontre des hommes et de leur terre à travers une succession de passages. Ce n’est pas tant la destination qui m’importe, mais bien le voyage en lui-même. Comme avec mes pastels secs, je ne sais pas ce qu’il restera, ce qui partira ce qui fera l’image finale. Le voyage est un processus.
Sonia Jebsen : Quelles seront vos différentes étapes ? Comment vivez-vous ce voyage au quotidien ?
Marianne Herjean : Je traverserai l’Italie, la Slovénie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Pologne, la Roumanie , puis la Turquie pour” peut-être” arriver en Iran.
Mon trajet est marqué par des étapes clefs comme Venise pour ses peintures et son rapport à l’eau, le village hongrois Budaliget, où je me suis rendue sur les traces d’un livre (Dialogue avec l’ange), la Roumanie pour son caractère agricole qui tente de perdurer, la ville de Konya en Turquie pour le mausolée du poète Soufi Rumi et l’Iran pour tout ce que j’imagine (la lumière, la poésie, la musique, l’architecture, …). Je n’y suis jamais allée. Je pense que sur place, je ferai la même chose que je fais aujourd’hui Une fois sur place, je serai à l’écoute, prenant des notes sur la lumière, les sons, les formes. Capter l’espace, ses caractéristiques et prendre conscience de ce qui se joue en moi.
À Budapest, Attila mon hôte m’a installé un petit atelier dans son appartement et nous avons beaucoup échangé sur le dessin des premières typographies hongroises. J’ai aussi rencontré une migrante Russe à qui j’ai donné des cours de français.
En Roumanie, au coeur de la Transylvanie (ma halte actuelle) je suis hébergée par une jeune femme céramiste. Nous échangeons sur nos processus de création et notre désir de vivre davantage en harmonie avec la nature.En Roumanie, j’ai retrouvé une pianiste, en Hongrie une danseuse. Mais je fais surtout des rencontres fortuites. Mon anglais est faible, ce qui renforce ma capacité d’écoute et l’accueil du silence dans le dialogue. C’est très enrichissant. Je planifie mon voyage au fur et à mesure de mon avancée, sans m’encombrer de choses «à voir ». Suite à mon voyage en Mongolie chinoise, j’ai pris l’habitude de m’éloigner en bus de la ville vers la périphérie. Cela m’ouvre à des découvertes sur l’architecture, des pratiques agricoles, la curiosité des gens envers moi…
Sonia Jebsen : Vous vous adonnez au dessin durant votre voyage. Qu’en retirez-vous ?
Marianne Herjean : Je travaille essentiellement sur papier. Mes médiums sont multiples et s’assemblent au gré de mes envies. Mes inspirations sont le paysage, la nature organique (les fruits, les cailloux, les os, …) et le corps (plutôt féminin).
Durant mon voyage, pour des questions pratiques, j’utilise essentiellement des pastels secs et des gommes. Comme un palimpseste pictural, je suis fascinée par le recouvrement, l’effacement, et la superposition du médium sur le papier. J’aime cette volubilité du sec et sa rencontre dans la matière de la fibre. Il est plutôt question de processus, je me laisse surprendre par ce qui apparaît et disparaît.
Sonia Jebsen : La danse soufie est devenue une passion. Expliquez-nous ce qu’elle vous apporte et son influence sur votre création ?
Marianne Herjean : J’ai découvert la danse Soufie en lisant le poète perse Rumi (XIIIe siècle) puis grâce à la danseuse et chorégraphe Rana Gorgani. Le Samà (écoute mystique) est l’action de tourner sur soi-même dans une rotation du corps vers la gauche (coté du coeur), ceci parfois durant plusieurs heures. Cette rotation du corps est à l’image des planètes tournant autour du soleil. La danse Soufie est pour moi à la fois une lutte et un espace d’extase. En contenant ces deux réalités, elle me permet de trouver un point d’équilibre en moi où tout s’éclaircit ; entre autre mon désir et ma liberté de peintre.