Inès de la Fressange était à Genève pour inaugurer l’enseigne Roger Vivier, ouverte il y a un mois rue du Rhône, c’était l’occasion pour nous de la rencontrer. Nous avons souhaité vous livrer cette conversation au plus proche de la réalité, sans tailler dans son humour ou sa verve.
Quelle est la part « Inès de la Fressange » dans l’aventure Roger Vivier d’aujourd’hui?
Et bien ma réponse se trouve au fond dans votre question. C’est-à-dire qu’il y a douze ans, on se serait rencontré et vous m’auriez dit – « C’est quoi Roger Vivier? ». Alors qu’aujourd’hui vous me demandez quel est mon rôle. Donc une grosse partie de ma mission est accomplie. Bien sûr, les gens de la mode et particulièrement les stylistes de souliers connaissaient le nom de Vivier, tout comme les stylistes des robes connaissent celui de Balenciaga ou Givenchy, mais c’était un cercle restreint. Un jour une grande rédactrice de mode internationale a téléphoné au bureau et a demandé la ligne personnelle de Monsieur Vivier. J’entendais la réceptionniste lui expliquer très poliment qu’elle était désolée de lui annoncer que Monsieur Vivier nous avait quitté en 1998 pendant que je lui soufflais de lui donner le numéro du paradis! Mon rôle a été de rappeler aux gens qu’il avait chaussé la reine d’Angleterre, confectionné les cuissardes pour Bardot sur sa Harley Davidson, inventé les talons stilettos… En fait il fallait ré-installer ce nom dans le monde du luxe où il était né dans les années 60. Aujourd’hui quand j’arrive en Chine et que je vois Chanel, Hermès, Dior et Roger Vivier dans le même périmètre, je me dis « waouh, nous y sommes arrivés ».
Alors vous êtes en charge des Relations Publiques?
Pas seulement. Au début de l’aventure, nous nous sommes parfois retrouvés assis dans un garage de stockage, j’avais mon ordinateur que j’essayais de connecter à mon portable pour avoir internet, et ma carte de crédit perso car il n’y avait pas de compte Vivier. Les gens appelaient comme s’ils appelaient le bureau de presse de Dior, persuadés qu’il y avait cent personnes derrière pour empaqueter alors qu’avec Armelle, mon assistante, nous étions parfois assises par terre avec le papier de soie entrain d’aider à emballer des souliers. J’ai finalement un rôle assez libre, je me mêle un peu de tout sauf du design qui revient à Bruno Frisoni, et je veille à ce que Roger Vivier reste Roger Vivier, c’est-à-dire du haut de gamme avec une touche d’originalité, de la gaîté et de l’humour. Du coup on fait des visuels avec des aquarelles, des brochures qui se déplient dans tous les sens, ou par exemple en ce moment on trouve dans les boutiques une bande dessinée qui reprend dans ses cartouches les produits Vivier. Sur le site internet, il y a des objets animés qui se déplacent dans tous les sens sur l’écran, dont une voiture, mais ce n’est pas une Ferrari c’est une 2 CV Citroën.
Quelle est votre relation avec Diego Della Valle, l’homme d’affaire italien qui a racheté Roger Vivier?
Elle ne s’inscrit pas dans une relation de hiérarchie, en fait je le tiens informé de ce qu’il se passe et de ce dont nous avons besoin pour avancer. Et cela me semble important qu’il y ait au sein d’une entreprise une personne qui joue un rôle de « bouffon du roi », qui mette le doigt sur les choses qui ne vont pas. Imaginez que dans votre site internet quelqu’un soit là pour vous dire: « mais c’est quoi ce titre ou cet article? » Finalement cela fait du bien à toute l’entreprise. C’est normal que chacun soit sur la réserve, on a tous besoin de travailler, on est stressé et au bout d’un moment on perd même sa liberté de parole, alors que dans toutes les équipes, il y a toujours quelqu’un qui sait et qui a compris quand quelque chose cloche. Finalement, c’est ce que l’on me demande. Le fait d’avoir beaucoup travaillé, d’avoir été confrontée à des gens et des situations différentes m’aide, c’est certain.
Vous avez incarné la femme Chanel pendant des années et aujourd’hui la rencontre entre vous et Roger Vivier nous semble naturelle. Ce sont des marques qui vous vont bien ou vous qui allez bien à ces marques?
Chanel n’avait pas besoin de moi mais moi j’ai appris beaucoup auprès de Karl Lagerfeld, cette expérience m’a donné le feeling indispensable dans la mode et une certaine autorité qui me permet de dire ce que je pense sans avoir peur d’être virée. Personne n’est essentiel, mais la mode c’est de l’intuition et le courage d’innover. Quand j’ai signé avec Chanel, on me disait: « qu’est-ce que tu vas y faire, ma mère ou ma grand-mère s’habillait là-bas! ». Je parlais alors de la personnalité de Coco, son indépendance, son côté avant-gardiste, elle qui se baladait à Venise avec une casquette et des Rayban, les gens étaient surpris car ils croyaient qu’elle était née vieille dame… Chez Roger Vivier, c’est différent, nous étions confrontés à une absence de notoriété, mais tout le monde était assez joyeux que j’entre dans cette aventure. Aujourd’hui, nous avons ouvert trente boutiques dans le monde entier, un gros travail a été fait. Le risque c’est de pêter les plombs, une entreprise c’est comme un être humain quand il a du succès. Alors je suis aussi là pour dire halte, ceci n’est pas très « Vivier », nous faisons du luxe, mais avec un peu d’auto-dérision, et nous devons rester proche de nos clientes. Comme nous avons nos propres usines en Italie, nous pouvons répondre à leur demande, quelle qu’elles soient, par exemple proposer du 34 au 42 si nécessaire! Pour moi il y a un côté artisan chez Vivier, nous sommes d’un bout à l’autre de la chaîne, et ma conviction reste que l’artisanat est le véritable moteur du luxe.
A travers les anecdotes de son histoire chez Roger Vivier, on découvre une femme volontaire et libre, spontanée et accessible, qui a su rebondir de projets en projets grâce à son authenticité, bref une femme bien dans ses pompes!
Claire-Alice Brenac, avril 2015
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