Sonia Jebsen – juillet 2023
L’oeuvre prolifique et innovatrice de l’artiste Man Ray (1890-1976) se retrouve sous les spotlights du Palais Lumière à Evian-les-Bains. Multimédia et inclassable, allié des Surréalistes, le « Maître des Lumières » nous donne une définition de sa démarche : « Je photographie ce que je ne veux pas peindre, et je peins ce que je ne peux pas photographier ».
L’exposition est visible jusqu’au 5/11/2023
Emmanuel Radnitsky dit Man Ray
Fuyant les pogroms de la Russie impériale, les parents d’Emmanuel Radnitsky débarquent aux Etats-Unis et s’installent à Philadelphie, sa ville natale. Le patronyme anglo-saxon qu’ils choisissent, est-il un signe du destin pour leur fils aîné ? (rayon… de lumière !). Etre artiste est une vocation qui l’amène à suivre les cours de peinture aux Beaux-Arts de New-York. Il fréquente dès 1910, la galerie 291, du photographe Alfred Stieglitz, révélateur de talents.
En 1915, il y fait une rencontre déterminante : celle du peintre français Marcel Duchamp, anti-militariste, installé aux Etats-Unis. Le coup de foudre amical est renforcé par leur approche commune de l’art, décalée et conceptuelle. Ils travaillent sur des oeuvres communes à plusieurs reprises. Mais le mouvement dada ne trouve aucune résonance en Amérique du Nord. Man Ray se tourne vers la France et rejoint Marcel Duchamp dans le « Paris des années folles » durant l’été 1921.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Man Ray, l’innovation photographique
Man Ray plonge dans l’univers des Surréalistes en fréquentant les écrivains, poètes et peintres tels que Paul Eluard, André Breton, Tristan Tzara, Max Ernst ou Picabia.. Les collaborations se multiplient sur la base de la transdisciplinarité, le rejet des règles de l’art académique et s’abreuvent d’onirisme et de pensées exprimées librement sans censure.
Man Ray ne délaissera jamais ses pinceaux, mais c’est grâce à la photographie qu’il acquiert sa célébrité. Le regard innovant et esthétique qu’il porte sur les gens et les objets, même les plus banals, porte en soi la promesse de nouveaux courants artistiques (art moderne). L’américain entame une recherche assidue de compositions d’images surréalistes et fait siennes diverses techniques (déjà inventées ?) dans la chambre noire : la solarisation, la surimpression, le rayogramme, ou le photomontage.
« La création est un voyage individuel vers l’inconnu. » confie Man Ray.
Le Maître des Lumières
Sur un demi-siècle, Man Ray a semble t’il produit entre 20’000 et 30’000 oeuvres (tous médiums confondus) ! La mise en scène raffinée du Palais Lumière en dévoile plus de 500 provenant de collections privées et de musées (Centre Pompidou, Musée des arts décoratifs), et la Maison Schiaparelli.
Robert Rocca et Pierre-Yes Butzbach, commissaires de l’exposition , ont travaillé sur onze thématiques parmi lesquelles la série d’Autoportraits, les muses, la mode, les portraits de célébrités, ou les rayographes.« Tout peut être transformé, déformé, éliminé par la lumière. Sa souplesse est la même que celle du pinceau, exactement », citation on ne peut plus éloquente de l’artiste.
Les Autoportraits et les visages de Man Ray
Nombreux peintres et photographes ont cédé à la tentation de l’autoportrait. Un exercice de style auquel Man Ray s’est prêté dès 1916 et de manière récurrente durant sa vie. Facétieux, il n’hésite pas à se déguiser tel un comédien dans des mises en scène sobres et réfléchies. Qu’il interprète un travesti, un curé, ou un élégant gentleman, son expression reste figée, son regard sombre nous fixe ou se perd dans le vide…
Ils sont nombreux, amis artistes, stars hollywoodiennes, ou simples inconnus à fréquenter son studio, se soumettant avec plaisir à son regard percutant :Picasso, Braque, Cocteau, Gertrud Stein, la Marquise Casati ou Yves Montand. Son approche du portrait inspirée du travail des maîtres anciens rencontre un immense succès.
« En studio, je travaille comme le photographe le plus traditionnel. Les gens viennent dans mon studio me disent : « Je ne suis pas photogénique…je ne vais jamais chez le photographe » Je leur réponds : « Cela dépend de moi », explique Man Ray.
Les muses de Man Ray
Sa vie sentimentale est enrichie par la rencontre avec six femmes fascinantes mises en lumière dans l’exposition. Son pouvoir d’attraction et sa libido libérée l’entraînent dans les bras de Kiki de Montparnasse, femme fatale par excellence. Dans le cultissime cliché, »Noire et blanche » (1926), publié dans Vogue, elle joue la belle endormie tenant un masque africain. Idem avec le sensuel « Violon d’Ingres » (1924) pour lequel son corps aux formes généreuses devient instrument de musique dans les mains de l’artiste amoureux.
La photographe américaine Lee Miller se jette dans ses bras et devient sa collaboratrice. La beauté blonde fait une découverte prépondérante : la solarisation en exposant des négatifs à la lumière. D’une erreur, Man Ray en fait sa marque de fabrique tant il a utilisé ce procédé. Devant son appareil, les femmes se dénudent tout en confiance. Ce fut le cas des artistes Meret Oppenheim ou Nush Eluard, la belle métisse Ady, ou sa dernière épouse, Juliet.
Man Ray, photographe de mode
Bien avant Helmut Newton, Richard Avedon ou Peter Lindbergh, il y a le regard de Man Ray révolutionnant la « fashion photography ». Il ne mettra pas ce travail en avant, pourtant la mode lui apportera reconnaissance et aisance financière. Les grands magazines tels que Vogue, Harpers Bazaar ou Vanity Fair se l’arrachent. Man Ray se lie d’amitié avec la créatrice de mode, Elsa Schiaparelli. Habillée de ses élégantes créations, l’italienne devient sa complice en cassant les codes d’une représentation statique du vêtement. La photographie et la mode au service de l’art. Une autre icône de la mode prendra la pose vêtue de son fameux tailleur, cigarette à la bouche, Mademoiselle Coco Chanel.
Qualifié de « couturier du nu », il écrit en 1939 dans son livre « Autoportrait » : « Un nu est toujours à la mode. Quel dommage que les femmes ne puissent porter des vêtements transparents ! »