Ibrahime maalouf

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C’est dans les coulisses du Victoria Hall qu’Ibrahim Maalouf, quelques heures avant son unique concert à Genève, nous a fait le plaisir de nous recevoir. Il a dédié cette soirée aux 44 morts de  l’attentat de Beyrouth de la veille. Il ne savait pas encore au moment où il jouait, que Paris vivait les événements tragiques que nous connaissons tous aujourd’hui. En bas de cet article vous pourrez voir ou revoir son passage au Grand Journal de Canal Plus du 16 novembre, dans lequel il interprète avec ses élèves d’improvisation « Autumn leaves, chanson qui a fait le tour du monde et longtemps représenté la France ». Le message est simple et sage: continuer à faire ce que l’on aime et rester debout. Rencontre avec un musicien prodige, un homme humble, généreux, charismatique et… bourré de charme.

Bythelake: Une Victoire de la Musique en 2014 pour un album instrumental, vous jouez ce soir à guichet fermé, votre tournée passe par le monde entier, vous jouez avec de grands artistes, comment expliquez-vous votre succès ?

Ibrahim Maalouf: J’essaie avant tout de donner un rôle à la musique instrumentale qui soit à la hauteur de mon amour pour elle. Parce que je suis passé par les chemins classiques des conservatoires, des concours internationaux, je sais que trop de virtuosité et de complexité coupent parfois la musique de l’auditeur. Alors j’essaie de trouver des moyens pour  faire en sorte que mes musiques soient à la fois complexes et intéressantes, qu’elles communiquent les choses que j’ai à dire, qu’elles soient pleines et riches d’influences, de techniques, de virtuosité, mais qu’à la fois elles soient lisibles et faciles à entendre et que je n’impose pas le poids de la complexité musicale ou harmonique ou rythmique à celui qui écoute. Ce travail est une forme d’empathie que je soigne pour que celui qui m’écoute n’y voit pas de performance mais que cela lui parle directement au coeur. Dès le début j’ai toujours eu envie d’être avant tout compris et par extension être aimé.

btl: A 34 ans, déjà neuf albums, auteur, compositeur, interprète, producteur, vous avez déjà exploré le rock, le classique, l’électro, la musique arabe… Jusqu’où votre enthousiasme va-t-il vous embarquer et qu’est-ce qui vous inspire pour continuer à être aussi créatif  ?

KalthoumIMI.M: Je ne sais pas vraiment, c’est cela qui est excitant, je fais en sorte qu’il n’y ait pas de barrière possible, que tout soit envisageable tout le temps. Le fait de pouvoir vivre désormais de ma musique me donne une grande liberté, je fais vraiment ce que j’aime, ce dont j’ai envie sans aucune limite. J’ai en mémoire cette citation « la première oeuvre c’est toujours celle du désespoir », j’ai toujours l’impression que chaque album, chaque création, chaque rencontre artistique va peut-être être la dernière, alors je me dis je vais tout donner parce que l’on ne sait jamais!  C’est probablement ce qui inspire ma créativité, je n’ai pas de but ultime si ce n’est de communiquer avec les gens, et c’est grâce à la musique que je fais mes rencontres. Il est à cet égard surprenant de voir que certains publics sont plus disposés que d’autres à comprendre ce que j’ai à dire, que cette adhésion  ne repose pas uniquement sur les affinités culturelles, mais dépend aussi de la curiosité du public et pas forcément de celui qui me ressemble le plus. Je me rappelle d’une communion extraordinaire lors d’un concert à Prague où je n’avais jamais mis les pieds, ni vendu aucun disque, ni fait aucune promotion.

btl: On vous connait trompettiste de talent, mais on a l’impression que votre musique s’émancipe totalement de la trompette, qu’en pensez-vous ?

I.M: Je suis d’accord avec vous, j’aime la trompette mais ne lui donne pas le premier rôle. Je me vois un peu comme un réalisateur, acteur au départ, qui réalise un film mais ne se donne pas le  rôle principal. En tant que trompettiste je suis acteur, pour la composition la réalisation d’un album ou d’un concert, je le fais comme un réalisateur de film. Je mets en avant la musique plus que moi-même, la trompette est un instrument, un outil pour construire la musique.  C’est la musique elle-même qui me passionne parce que c’est elle qui apporte des connexions, des contacts avec les gens. Quand je compose, je me pose toujours la question : que va ressentir la personne qui m’écoute?  Si je sens qu’elle ne peut pas ressentir la même chose que moi ou comprendre ce que je dis, alors il faut que je reconstruise ma musique autrement. C’est sûrement une question d’éducation, et à cet égard tous les arts sont des reflets des rapports humains.

btl: Justement avez-vous des modèles ?

Red&Black light IMI.M: Pas particulièrement, tout me vient de mon éducation. Mon père m’a donné la musique et la rigueur, mais c’est surtout ma mère et les autres femmes de ma famille qui m’ont donné l’équilibre, d’ailleurs mon dernier album, Red& Blak Light, est un hommage aux femmes de ma famille. J’y explique que c’est grâce aux femmes que toutes les complexités du monde qui nous entoure, nous ont été transmises de manière plus sereine, beaucoup plus lisible, plus facile à comprendre. Si les femmes de ma famille n’avaient pas été là, nous les hommes, serions devenus fous en partant dans toutes les directions, en prenant des décisions sans sens, ce sont les femmes qui ont arrondi les angles, fait que tout fonctionne. Quand je parle d’éducation je crois que c’est de cet équilibre dont je parle.

Voici librahim maalouf Victoria Hall‘heure de nous quitter, Ibrahim Maalouf part répéter avec ses musiciens, je suis sous le charme, impatiente de le voir sur scène grâce aux places qu’il a eu la gentillesse de proposer pour la représentation de ce soir.

Un peu plus tard, le Victoria Hall est bondé avec les abonnés bien-sûr, mais aussi de nombreux jeunes moins habitués du lieu. S’ensuivent deux heures trente d’un concert inoubliable où Ibrahim Maalouf subjugue, parle, nous fait siffler avec lui et même pour certains, danser… Standing ovation pendant plus de 10 minutes! Tout ce qu’il nous a dit plus haut est vrai: grâce à sa musique il communique avec nous!

Bravo et merci Ibrahim!

Sophie Durouchoux, novembre 2015

http://www.ibrahimmaalouf.com