Période de Saint-Valentin oblige, parlons d’amour, et qui mieux qu’un poète peut retranscrire ce sentiment d’affection, objet de nos plus grandes joies et de nos plus grandes tristesses! En l’occurrence, c’est une poétesse et romancière que nous retrouvons pour l’occasion, une icône de son temps, une muse et une grande amoureuse… : Anna Elisabeth de Brancovan, comtesse de Noailles (1876-1933). Attisons votre curiosité en précisant que cette lady a vécu en partie sur les bords du Léman, dans la propriété familiale “Bassaraba” ä Amphion, entre Evian et Thonon. Les séjours au bord du lac sont une source permanente de joie et de lyrisme pour cette âme passionnée aux grands yeux langoureux. Dame Nature et la condition humaine font les sujets principaux de ses écrits.
Mais qui est donc cette élégante aristocrate, adulée par nombre de célébrités de son vivant ?
Benjamine de la famille princière Bibesco Bassaraba de Brancovan, Anna voit le jour à Paris. Elle devient comtesse à l’âge de 19 ans (1897) en épousant, Mathieu de Noailles dont elle aura un fils. La jeune Anna reçoit une éducation où les arts et les lettres tiennent une place prédominante. Ses parents, le prince roumain Grégoire et la talentueuse pianiste, Rachel, accueillent fréquemment les écrivains et les artistes les plus célèbres de l’époque, dans leur hôtel parisien : Marcel Proust, Frédéric Mistral, Anatole France, Ignace Paderewski, et tant d’autres encore. Baignée dans cette atmosphère artistique et littéraire, la poésie devient très tôt un moyen d’expression indispensable à la jeune femme.
En 1901 paraît son premier recueil, “Le coeur innombrable”, couronné par l’Académie française et avec lequel elle conquiert la presse et le public. Elle devient une idole et le porte-voix d’une génération tourmentée : elle s’engage en politique auprès des socialistes Jean Jaurès et Léon Blum, prend position publiquement, notamment dans l’Affaire Dreyfus. Cette passionaria de la Belle Epoque est également une fervente militante de la cause féminine. Elle n’est pas que mots et paroles puisqu’en 1904, c’est en tant que rédactrice au magazine “La vie heureuse” qu’elle crée avec ses collaboratrices le prix du même nom, faisant miroir au Prix Goncourt, fortement teinté de misogynie à leur goût. Cette récompense est toujours d’actualité sous le nom de Prix Femina! Dans son salon littéraire, avenue Hoche, elle accueille Colette, Paul Claudel, André Gide, Jean Cocteau, Alphonse Daudet, Maurice Barrés.
Et l’Amour dans la vie d’Anna, qu’en est-il ? Elle envoûte, jouant de ses atours aux senteurs orientales. Elle fait tourner la tête d’hommes célèbres comme Barrès, entretenant avec lui une longue correspondance et une liaison amoureuse sans espoir. Il dit d’elle : “Parfois, elle est tout le sérail, elle s’enveloppe de soies la tête ; elle se pelotonne, quelle émotivité, éternelle Esther qui défaille sans cesse”. Anna de Noailles, grande tragédienne! Sans doute, et une femme d’un grand magnétisme, éternelle amoureuse insatisfaite, malheureuse, à la recherche d’un idéal inassouvi. Elle décrit superbement son exaltation amoureuse dans le recueil “Poème de l’amour” (1924) dédié à son amant de coeur : l’artiste Maurice Chevalier! Ces quelques vers du poème “Les mots sans qu’on les craigne” illustrent cet amour resté platonique mais qui a mis son être sens dessus dessous : “ Tendresse de la main, qui parcourt et qui lisse/ La vie atténuée et calme des cheveux/ Tandis que le désir se prive du délice/ De déchaîner l’orage éloquent des aveux.” Lorsque l’amour ne se nourrit que de fantasmes… 175 poèmes pour un seul homme, qui dit mieux ? Mais Anna peut-elle être la femme d’un seul homme ? Que ce soit son époux le comte de Noailles, ou Barrès, ou Chevalier, ou un autre… Aucun ne répond à son idéal de femme fatale en recherche de passion et d’éblouissement! Mais c’est sans aucun doute au contact de la Nature, l’inspiration principale de son oeuvre, que notre poétesse trouve réconfort et matière à l’ émerveillement et l’ivresse.
Ceci nous ramène vers le Léman dont elle parle avec amour et qu’elle décrit comme un paradis dans son autobiographie “Le livre de ma vie”, publiée en 1932, peu de temps avant son décès en 1933. Elle se souvient avec nostalgie de cette jeunesse dorée aux bords du lac. La vie à Paris dans l’hôtel particulier trop fastueux, ne lui plaît guère. Heureusement, son père acquiert avant sa naissance une magnifique propriété près d’Evian, et la fait transformer pour accueillir sa famille durant l’été… mais aussi pour y recevoir toute l’élite intellectuelle, politique, artistique de la fin du XIXe, lors de magnifiques réceptions, de salons littéraires et autres festivités. Anna apprend, écoute, regarde, s’instruit mais elle apprécie par dessus tout le contact avec la nature environnante, source de calme et de sérénité. Elle écrit dans ses mémoires : “Le lac Léman m’apportait tout, depuis ce nom d’Amphion, donné par un lointain hasard de terroir à notre rive et à notre demeure” mais aussi : “Je dois tout à un jardin de Savoie et au double azur qui m’a ébloui depuis l’enfance. C’est là que l’univers m’a été révélé.” Quelle belle déclaration d’amour à cette région qu’elle porte à jamais dans son coeur !
De santé fragile depuis son enfance, en proie au spleen, Anna de Noailles passe les derniers mois de sa vie alitée, dans sa chambre de l’appartement parisien. Elle rend son dernier souffle le 30 avril 1933 à l’âge de 56 ans, et est inhumée au Père Lachaise. Mais elle émet le souhait que son coeur repose à jamais dans un monument votif érigé à Amphion, son petit paradis terrestre. Ce monument existe bien, érigé dans un jardin en pente douce vers le lac, sous forme de rotonde, à Amphion/Publier. Quant à son coeur, pas de preuve qu’il y repose à jamais. Mais si vous passez par là, ne manquez pas de faire une halte et vous pourrez lire gravés sur la colonne centrale du monument, les vers d’’Anna de Noailles : “Etranger qui viendra/ Lorsque je serai morte/ Contempler mon lac genevois,/ Laisse, que ma ferveur/ Dès à présent t’exhorte/ A bien aimer ce que je vois”.
Lors de nos recherches pour cet article, nous avons découvert qu’une exposition aura lieu à La Maison Gribaldi, à Evian-les-Bains, mettant en lumière la vie de la poétesse aux bords du lac. Le titre prélude à une visite toute en poésie et romantisme : « Goûter au paradis. Anna de Noailles et les rives du Léman », du 13 avril au 3 novembre 2019.
« Goûter au paradis. Anna de Noailles et les rives du Léman »
Maison Gribaldi
Ruelle du Nant d’Enfer
74500, Evian-les-Bains, France
Ouvert tous les jours de 14h à 18h
tel : +33 (0)450 83 15 94