Anorexie , boulimie… rencontre avec Ingrid, « recovery coach »
Aux Etats-Unis on les appelle les « recovery coach ». Ils accompagnent ceux qui se battent contre des addictions ou tout autre comportement auto-destructeur.
Ces coaching sont assez récents quand il s’agit de troubles alimentaires. Ces pathologies, qui surviennent souvent comme des tsunamis, sont d’abord prises en charge par le corps médical. Mais un coach, sans pour autant remplacer le travail du thérapeute, peut devenir un véritable soutien quotidien, participant activement à la guérison pour reprendre une existence plus paisible ou éviter une rechute dans une phase fragile.
Nous avons rencontré Ingrid, recovery coach pour les troubles alimentaires à Genève.
bythelake : En tant que coach, Comment aidez-vous une personne qui souffre de troubles alimentaires?
Ingrid : Le coach est avant tout un accompagnant qui va arriver dans le chemin de cette personne à un moment où elle aura déjà compris qu’elle doit se mettre en action pour avancer.
Mon travail n’est pas celui d’un thérapeute qui cherche à retrouver et guérir des mécanismes ancrés dans le passé, je ne suis pas apte à proposer ce type de démarche. Si c’est la demande que je reçois, alors je propose une rencontre avec un médecin généraliste, psychiatre ou psychologue. Mais souvent, les personnes qui souffrent font déjà un travail avec un thérapeute et ce que le coach peut leur apporter, c’est une motivation qui va se trouver dans l’action au quotidien.
Comme j’interviens sur des choses concrètes, cet accompagnement est une démarche complémentaire aux autres démarches engagées. C’est important de retrouver les évènements qui ont fait émerger cette souffrance : le travail de thérapie cherche à comprendre ce que le patient a vécu dans l’enfance ou l’adolescence pour expliquer les comportements actuels, mais pour certaines ce n’est pas suffisant : après qu’est ce qu’on en fait? Si on reste dans le rationnel, dans ce besoin de comprendre, on a du mal à avancer.
Dans le coaching, on s’attarde peu sur le passé, le regard se porte sur l’avenir. Les démarches entreprises vises des solutions, nous travaillons avec des notions d’objectifs et de résultats quantifiables et mesurables qui ancrent les changements dans la vie de l’accompagné, et ces changements libèrent. La personne accompagnée devient ou redevient maitre de sa vie.
Btl : Justement, comment travaillez vous?
Ingrid : Je travaille avec des outils tels que le questionnement, la reformulation, le langage métaphorique, la visualisation, le dessin, la musique, sur le plan physique la danse ou des exercices qui connectent aux sensations, … cela peut être très varié. L’idée c’est d’aller chercher à exprimer la créativité de la personne à travers les cinq sens, car c’est là, en elle-même, que vont émerger les solutions pour évoluer. Je commence aussi à utiliser l’hypnose ericksonienne qui peut se montrer très efficace dans la régulation des troubles alimentaires.
Mon travail est d’amener l’accompagné à conscientiser les obstacles que je repère. Lever ces blocages, c’est à la fois, libérer de l’énergie et modifier le point de vue. L’objectif est de libérer tout ce qui pourrait entraver l’accès aux ressources et la mise en action.
Par exemple au niveau relationnel, une mauvaise dynamique trouve son origine sur des points précis : « c’est toujours comme cela, de toutes façons untel ou unetelle pense cela de moi,… j’en souffre, je ne trouve pas de solution, donc je préfère éviter pour ne pas entrer en conflit.. »
Quelle serait votre approche pour désamorcer une telle situation?
Recréer le conflit en inversant les rôles, faire réfléchir la personne en tant que son propre interlocuteur, pour améliorer le rapport et ne pas retomber dans le schéma habituel. Finalement que pourrait changer l’interlocuteur absent pour avoir un impact positif sur la relation? C’est un jeu de role qui marche très bien. Il y a ensuite une restitution de l’échange par le coach qui permet une prise de conscience et donne des éléments pour agir.
Ce sont des techniques spécifiques à l’accompagnement dans le cadre des troubles alimentaires?
Je me sers de techniques utilisées dans le coaching en général, mais que j’ai adaptées aux problèmes des troubles alimentaires. Je me suis rapprochée de psychiatres, qui ont un rôle médical face à ces troubles, pour comprendre comment développer les outils et offrir un accompagnement efficace et toujours personnalisé. Quand un tel travail s’engage, le role du coach est de définir un objectif global. Chaque cas est particulier, mais quel que soit le chemin, on arrive à un moment ou un autre aux questions du trouble alimentaire. Le trouble du comportement apparait pour signifier que quelque chose de plus profond ne va pas, mais ce quelque chose peut avoir des origines multi-factorielles étroitement liées à l’histoire de chacun. C’est pourquoi il peut être compliqué de prendre le trouble alimentaire comme point de départ dans le coaching… on va aller chercher les besoins non-satisfaits qui se cachent derrière.
Est-ce que vous impliquez l’entourage, les proches ou la famille?
C’est tout à fait envisageable d’aider un proche, à condition d’éviter d’accompagner simultanément le proche et la personne souffrante car elle pourrait mal le vivre. Je pense que c’est important de valider ce point avec elle. Il existe néanmoins des accompagnants à même de proposer des thérapies familiales ou des séances de coaching avec plusieurs membres de la famille, qui nécessitent généralement un travail individuel en amont.
Quand ce type de trouble survient au coeur d’ une famille, certains membres peuvent apprendre à mieux communiquer avec la personne en souffrance, car souvent ils sont, eux-mêmes, perturbés et n’en connaissent pas les raisons.
Apprendre à changer son point de vue pour ne pas créer de blocage, prendre du recul implique une réciprocité. Dans ces situations, la communication devient très compliquée, il y a beaucoup de culpabilité de part et d’autre, de manque de confiance… les repas deviennent très compliqués, donc tout l’entourage est concerné.
Comment avez-vous eu envie de développer ce type de coaching ?
C’est mon histoire…
Entre 15 ans et 17 ans, j’ai eu deux années très dures d’anorexie mentale. Une anorexie qui s’est déclenchée subtilement mais qui s’est développée rapidement. Je n’ai jamais eu de problème avec mon poids, mais dans mon entourage, certaines faisaient des régimes ridicules… mes copines et moi sommes rentrées dans cette spirale infernale… et moi je m’y suis enfermée.
La perversité de cette maladie c’est que dans mon cas, j’étais arrivée à un stade ‘no limit’ où je ne pouvais plus rien avaler du tout. J’avais complètement effacé la nourriture de ma vie. En deux ou trois mois, c’était presque devenu un poison. Dans ces cas là, si on ne fait rien, on meurt.
Je suis entrée en clinique car à la maison c’était impossible à gérer, mes parents étaient démunis, terrorisés… ils ont demandé de l’aide à droite à gauche pour savoir que faire, et vu que la situation se dégradait encore plus, on a trouvé une clinique proche de la maison, avec une période d’isolement de trois semaines : c’est à dire que l’on reste en clinique, on ne rentre pas à la maison et on ne voit pas les proches. Ce qui était nécessaire, car enfin j’ai compris ce qui m’arrivait.
J’ai été admise dans le département « troubles alimentaires ». J’y ai rencontré une fille plus âgée, qui m’a fait peur… elle était beaucoup plus grande et pesait moins que moi. Elle m’a dit : « toi tu es jeune, tu peux t’en sortir, moi c’est fini ».
Quelque chose en moi s’est réveillé. Au niveau du suivi psychologique j’aurais aimé autre chose. Je ne trouvais pas d’élément déclencheur sur lequel travailler. Je portais un mal-être qui s’était construit avec les années…
J’ai découvert le développement personnel en clinique via l’art thérapie, la musicothérapie et aussi autour de la danse. Ce sont des techniques qui m’ont beaucoup apporté : la dimension physique, le visuel, la création, … c’est un vrai lâché prise et on en a besoin dans ce type de maladies, surtout l’anorexie. Prendre le temps de me reconnecter avec moi-même, de me connaître, ça m’a sauvée…