Sonia Jebsen – avril 2021

Dans l'atelier de Stéphane Ducret à Genève

Rencontrer un artiste dans son atelier est souvent la promesse d’un voyage immobile, d’un face à face frôlant l’intimité. D’autant plus lorsqu’il est inclus dans  son lieu de vie. L’artiste suisse Stéphane Ducret nous accueille dans son appartement, aux Pâquis. Un « Solo Show Number 1 » exposant sa série intitulée « REAL ESTATE » lui est consacré à la Gowen Contemporary jusqu’au 24 avril prochain.

Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.

Sonia Jebsen : Pouvez-vous résumer votre parcours d’artiste jusqu’à nos jours ?

Stéphane Ducret : Pulliéran de naissance, je me suis installé à Genève en 1990 afin d’étudier à la HEAD (Ecole supérieure d’arts visuels à l’époque).

En 1999, c’est le départ direction  New-York pour vivre mon rêve américain ! Dans Big Apple, je me suis nourri culturellement en fréquentant musées, théâtres, concerts. Je n’étais pas parti pour travailler, mais surtout pour développer ma peinture. En 2001, l’attaque terroriste du 11/9 a créé un choc personnel et mondial. J’étais aux premières loges, à NoLita. C’était l’heure du bilan pour moi, mes finances n’étant pas reluisantes. J’ai quitté les States pour découvrir la belle ville de Porto (six mois). Puis retour à Genève pour quatre ans durant lesquels je travaille à l’ECAL.

Attiré par la très européenne et branchée Buenos Aires, j’y pose mes valises en 2006, s’en suit une intense période de vie. Malheureusement, c’est un  pays ravagé par la corruption  et après quelques années,  je ne m’y suis  plus senti en phase. En 2012, back to Switzerland.

Je me suis frotté au métier de galeriste pendant un an mais sans succès. En 2016 trop de pression, trop de travail, le burn out me met KO. Je ne me sentais plus crédible comme artiste. Peut-être était-ce dû à un manque de reconnaissance, mais il fallait aussi passer par une auto-critique de mon travail : était-il de bonne qualité ?

Stéphane Ducret Studio Contemporary Art

Sonia Jebsen : A quel mouvement artistique associez-vous votre travail ? Et quelle est l’évolution de votre style ?

Stéphane Ducret : Mon travail d’aujourd’hui se reconnait tout à fait dans le mouvement de l’ « appropriationisme » initié par l’américaine Elaine Sturtevant. Celle-ci s’est beaucoup inspiré d’Andy Warhol en copiant de mémoire ses oeuvres.  Des artistes comme l’américain Richard Pettibone ou la genevoise Sylvie Fleury dont j’ai acquis une oeuvre il y a 30 ans ont un impact sur ma créativité. Mes  peintures  racontent des histoires différentes, en partant de l’oeuvre originale dont je m’inspire et en la transposant dans un contexte différent.

Mes références de jeunesse ont été Monet et Warhol. Durant mes études à l’Ecole Supérieure des arts visuels, mon travail évoluait tous les six mois parce que je me lassais vite d’un style. C’est pourquoi en regardant mes peintures de cette époque, on détecte l’influence de Keith Haring, Ellsworth Kelly, Baselitz et bien d’autres encore…

©LauraGowen-StephaneDucret-JulienGremaud-006-HD

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Gowen Contemporary

Genève

Sonia Jebsen : Vous exposez en ce moment à la Gowen Contemporary à Genève. Quelle est la thématique ?

Stéphane Ducret : L’accrochage « REAL ESTATE » se compose de 10 toiles et d’une vingtaine de dessins illustrant mon travail des trois dernières années. Après une longue pause, en mars 2017, je me suis remis au travail. Le projet : des oeuvres de grande dimension (208×188), mes formats préférés. Utilisant l’huile pour imiter d’autres techniques comme le spray ou le néon, ce fut un réel défi pour moi. Il m’a fallu presque sept mois pour chaque toile !

Leurs titres font référence aux auteurs dont je m’inspire et ils sont précédés du symbole Hashtag (#BruceNaumann#AndyWarhol). Un joli clin d’oeil aux réseaux sociaux très présents au quotidien. « REAL ESTATE » est un terme qualifiant la succession des artistes, utilisé dans le monde de l’art. Dans le Solo Show, les dessins exposés sont postérieurs aux peintures avec lesquelles s’établit un dialogue.

Sonia Jebsen : Vous êtes à l’origine de la création d’ART CLASSE (cours de peinture) qui met en avant vos qualités de pédagogue. Pourquoi et dans quel but ?

Stéphane Ducret : En 2016, c’était avant tout un moyen de gagner ma vie.  Mes capacités de pédagogue me permettent de transmettre aisément  mes connaissances, mes expériences au public.  A New-York, j’avais rencontré le peintre Rudolf Stingel qui a rédigé un manuel expliquant sa technique de peinture en cinq ou six étapes. Conclusion : en suivant des instructions claires,  n’importe qui peut créer une oeuvre d’art contemporaine similaire à l’originale. J’y ai puisé le concept d’ART CLASSE. Les ateliers REAL/FAKE  ont très vite remporté beaucoup de succès. Ils s’adressent à un large public. Durant les cours, je présente la démarche d’un artiste et une de ses oeuvres. Les participants créent un « vrai/faux » de l’original sur une durée de trois heures.  Grâce aux ateliers, j’explique  ce qu’est un artiste au niveau conceptuel, et pictural. Parmi les grands noms vous trouvez : Gerhard Richter, Andy Warhol, Basquiat, Rothko, Jackson Pollock, Joan Mitchell, Yayoi Kusama et tant d’autres … Une majorité d’américains car ils dominent le marché à 60% depuis la fin de la seconde guerre mondiale !

Sonia Jebsen : Petit questionnaire comme la cerise sur le gâteau… Citez-nous un artiste favori ?

Stéphane Ducret : Difficile mais parmi les contemporains, j’admire les dessins et tout le travail de l’américain Paul MacCarthy.

Sonia Jebsen : Un musée ?

Stéphane Ducret : (temps de réflexion) Restons local, le MCBA de Lausanne. C’est jouissif de se balader dans ce musée. Autant sur le plan architectural que par les expositions présentées !

Sonia Jebsen : Une définition de l’artiste ?

Stéphane Ducret : L’artiste est un être éternellement insatisfait qui, sans arrêt, questionne l’état du monde et l’état de la création. L’artiste est un raconteur d’histoires, un développeur de techniques et un « susciteur d’émerveillement ».

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