Itinéraire d’une comédienne discrète aux multiples visages.
Le départ : Née à Lausanne en 1975, d’un père péruvien, médecin, d’une mère française, auteure d’une chronique hebdomadaire au Temps sur les bonnes manières, Elodie est déjà appelée très tôt par sa vocation.
Elodie Frenck: J’ai fait toute ma scolarité à Lausanne, à 10 ans j’ai intégré l’école de théâtre Diggelmann, et puis j’ai connu la Ligue d’Improvisation suisse des écoliers. A 14 ans comme j’aimais vraiment ça, passionnément, j’ai intégré la ligue professionnelle, ce qui m’a permis de faire des matchs sous le chapiteau de Tel Quel. J’ai créé la Ligue des Gymnases en 1991. Je suis devenue coach, et j’ai été remerciée d’avoir créé cela quand j’ai eu ma Maturité. Malheureusement j’ai arrêté en arrivant à Paris, j’avais trop de choses à surmonter, à faire, à découvrir…
BTL : Quels tours et détours pour parvenir jusqu’à aujourd’hui?
EF: J’étais allée voir jouer mon oncle au théâtre où j’ai croisé une directrice de casting qui m’a fait passer une audition, puis une deuxième, et j’ai été engagée pour le premier rôle dans un long métrage, j’avais 15 ans et une semaine avant le tournage tout a été annulé, un vrai choc. On m’a dit que ce serait formateur, j’ai mis du temps à le comprendre, j’ai décompensé quelques mois après quand j’ai vu « La Nuit Américaine » de Truffaut ou là, j’ai vraiment pleuré toutes les larmes de mon coeur. L’année suivante, le réalisateur de ce film annulé, prépare un téléfilm et me propose le 1er rôle féminin dans « Chiens et Chats » avec André Dussolier et Roland Giraud. Il y a eu une suite mais mes parents ont dit « passe ton bac d’abord » ce que je comprends très bien maintenant que je suis mère. J’ai en revanche réussi à faire un autre tournage pour Roger Planchon… « Louis, Enfant Roi » pendant les vacances d’octobre de la même année.
BTL : Comment se sont passés vos débuts à Paris?
EF: J’ai sauté dans le vide! Avec des parents universitaires, ça été difficile, ils ne m’ont pas mis de bâtons dans les roues, les bâtons étaient psychologiques parce que je ne les voyais pas très heureux. J’ai obtenu une bourse au cours Florent, ça a été un long périple de petits jobs, de tournages aussi. On m’a proposé du mannequinat, je ne savais plus trop et puis j’avais peur que l’on ne me prenne que pour un mannequin, enfin j’avais une vraie passion pour le théâtre. Puis peu à peu, le petit écran a pris la place du théâtre, j’ai raté le Conservatoire au dernier tour après 6 mois de concours et là ça m’a laminée. Heureusement ce n’est pas comme médecine. On vous ferme la porte, on rentre par la fenêtre! A cette époque, j’avais toujours peur de ne pas voir le moment ou la somme des inconvénients devenait supérieure à la somme des avantages d’avoir fait ce choix. A chaque fois que je me décidais à faire autre chose, j’avais une proposition de tournage et puis je n’arrivais pas à lâcher, à rentrer… On m’a proposé mille métiers, j’ai même repris des études, philo, ce n’était pas vraiment pour avoir un métier concret…
BTL : Quels rôles ont marqué votre carrière ?
EF: De petits rôles dans des séries, des films, des téléfilms, et puis j’ai joué dans « Suspectes ». Trois héroïnes mêlées à un crime: Ingrid Chauvin, Karina Lombard et moi. Ensuite « Les semaines de Lucide » pour Série Club. Ce qui m’a beaucoup formée et fait vivre! Et on grandit… Cette partie-là prend moins de place dans l’existence et soudain les propositions arrivent! Ah si on comprenait ça à 20 ans, qu’il fallait lâcher prise, s’en moquer un peu… J’ai également tourné dans un téléfilm pour la TSR: « T’es pas la seule » avec Isabelle Caillat, deux soeurs que tout oppose dans un domaine viticole entre Lausanne et Genève.
BTL : Comment est arrivée Marlène dans « Les Petits meurtres d’Agatha Christie » diffusés sur France 2 avec plus de 4 millions de téléspectateurs?
EF: C’est une idée du directeur de casting qui m’avait déjà vue en audition pour d’autres rôles. Adéquation entre un moment où ce n’était pas prioritaire parce que je venais d’avoir un petit garçon et la rencontre avec un rôle qui m’amusait… Marlène est un personnage assez intéressant pour ça, j’ai choisi la gaité, c’est vraiment un choix comme l’explique si bien Justine Lévy dans son dernier livre, mais avec toute la sensibilité des années difficiles et puis l’humour, j’avais envie de faire rire ! Marlène fait du bien, c’est la gentillesse, la naïveté, l’intelligence du coeur. C’est aussi un clown, elle a une voix haut perchée, elle n’a pas le nez rouge mais elle a la bouche rouge.
BTL : Quand on voit votre silhouette de sylphide, comment faites-vous pour incarner la pulpeuse Marlène, mince certes mais avec des formes digne de Marilyn ?
EF: Quand j’ai eu le rôle j’avais accouché six mois avant, j’étais un petit peu plus ronde, mais j’ai des faux seins et un faux-cul!
BTL : C’est un personnage qui a pris de l’ampleur, je parle de sa place dans la série…
EF: Dans les premiers épisodes, Marlène avait un tout petit rôle, très peu de présence et toujours dans le bureau du commissaire. L’auteure, Sylvie Simon, s’est rendue compte que les personnages étaient très complémentaires. Lors de l’épisode 5, Marlène sort enfin du commissariat et sauve la vie des deux héros: le sarcastique commissaire Swan Lawrence, interprété par Samuel Labarthe et l’intrépide journaliste Alice Avril, jouée par Blandine Bellavoir. Cela a été un élément déclencheur pour étoffer le rôle. Son bon sens, son intelligence du coeur pouvaient contribuer à résoudre les intrigues. L’originalité a été de passer de deux héros à trois. La triangulation permet beaucoup plus de choses, plus d’histoires. Effet boule de neige, les quatre premiers épisodes j’avais deux, trois jours de tournage puis ensuite neuf puis dix, puis…
BTL : Et dans l’épisode 9, vous jouez deux rôles, Marlène et sa soeur Solange?
EF: C’est venu en fait lors d’une conférence de presse où l’auteure était présente et une journaliste, assise à côté de moi, disait que le rôle de Marlène, ravissante idiote, était une offense faite aux femmes, que ça allait à l’encontre du mouvement féministe… Sans remarquer que j’étais assise juste à côté d’elle. Cela a donné l’idée à la scénariste d’utiliser ce que je suis au naturel, enfin bon j’espère que je ne ressemble quand même pas trop à Solange… Et c’était délicat, ne pas tomber non plus dans la caricature ou dans la performance. On y croit ! J’avais tellement joué Marlène pendant trois ans, faire son contraire n’était pas si difficile…
BTL : Cela doit vous prendre beaucoup de temps et d’énergie?
EF: Agatha Christie c’est l’équivalent de quatre longs métrages par an donc ça occupe, un mois et demi de prépa, avec lecture de script, réunions, essayage et modification des vêtements années 50, deux mois de tournage à Lille où je vis quatre mois par an, la promo des précédents épisodes et puis mon petit garçon, son papa, qui vient de lancer une société de production, ma maison, la vie quoi!
BTL : Trouvez-vous le temps de jouer dans d’autres productions et d’avoir des projets?
EF: Et oui! Un film : « Deux au carré » de Philippe Dajoux est sorti le 30 septembre en Belgique, deux couples que tout oppose se retrouvent à cohabiter dans un palace à Cannes… C’est une comédie avec Charlie Dupont, Tania Garbarski et Olivier Sitruk. Déjà deux sélections dans des festivals français… Un téléfilm, encore une adaptation, mais de Mary Higgins Clark cette fois, diffusé sur France 3, « la clinique du Dr H », suspens contemporain, complètement différent. Je joue une femme de mon âge témoin d’un meurtre, à un moment de sa vie où elle va tout quitter. J’ai un projet de théâtre pour Avignon 2016, avec Anne Benoit, 30 représentations exceptionnelles. Et le tournage des six prochains épisodes des « Petits Meurtres d’Agatha Christie » reprennent mi-octobre!
Le parcours professionnel d’Elodie Frenck depuis 1992 est jalonnée de rôles plus ou moins importants dans d’innombrables séries, films et téléfilms. Un parcours étonnant pour cette jeune femme sensible et engagée, d’apparence si discrète dont le talent semble s’épanouir pour être enfin reconnu. A très vite !
Les petits plaisirs d’Elodie:
- En Suisse : le musée de l’art brut à Lausanne et… le lac!
- En France : le Grand Palais à Paris pour le lieu et ses expos.
Véronique Baligan-Bertrand, Octobre 2015