Espace rythmique, Avant qu’une main invisible ouvre la porte : les horloges de verre d’Ugo Rondinone photo ©Sonia Jebsen
Sonia Jebsen – février 2023
L’artiste suisse Ugo Rondinone (1964) convoque le soleil et la lune, dans un parcours poétique rythmé aux énergies feng shui. Avec cette carte blanche, il endosse le rôle de curateur et de décorateur en mettant en scène ses propres oeuvres et celles du musée. « When the sun goes down and the moon comes up » est visible jusqu’au 18 juin prochain.
Ugo Rondinone, un artiste éclectique
Originaire de Brunnen (Schwytz), Ugo Rondinone est basé à New-York où il possède un atelier. Diplômé de la Hochschule für Angewandte Kunst de Vienne en 1985, l’artiste joue à merveille avec les médiums disponibles (peinture, dessin, sculpture, vidéo, photographie…). Depuis les années 90, il relève tous les défis avec de surprenantes installations riches en symboles, exposées dans la jungle urbaine ou en plein désert.
Dans sa quête existentialiste, Ugo Rondinone souhaite éveiller l’intérêt du public sur l’art en général. L’artiste fait appel à nos sens et nos émotions amenant inévitablement à des questionnements récurrents sur la vie, la mort, le sexe, le temps, l’espace… Il partage avec le peintre Caspar David Friedrich, dont il est fan, une âme romantique, le goût de la méditation et l’amour de la nature.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
L’artiste metteur en scène
Marc-Olivier Wahler retrouve l’artiste suisse avec qui il avait déjà collaboré au Palais de Tokyo en 2007. Qui mieux qu’Ugo Rondinone pour investir le MAH dont le fil conducteur dans cette exposition est l’architecture symétrique du bâtiment. Avec cette carte blanche, le curateur réalise un parcours méditatif jouant de l’espace disponible et de la lumière des vitraux. Des 65’000 pièces de la collection du musée, 500 reprennent vie en association avec les oeuvres de Rondinone.
En jetant son dévolu sur deux peintres suisses incontournables : Ferdinand Hodler (1853-1918) et Félix Vallotton (1865-1925), l’artiste apporte une touche contemporaine à leurs toiles grand format disposées telles des sculptures. Au revers apparaissent les dessins préparatoires.
Le soleil et la lune : le yin et le yang
Le soleil/the sun (2017) brille majestueusement dans le hall d’entrée du musée. Ce cercle, haut de 5m, constitué de branches en bronze doré, marque le début de l’aventure entre Hodler et Valloton, dans le temps et l’espace. Le parcours de l’exposition n’a pas de sens obligatoire, et il est même recommandé de revenir sur ses pas dans les salles afin de les aborder sous un autre angle.
Quelques salles plus loin, la lune/the moon (2020),nimbée d’argent, invite à pénétrer l’univers du rêve, du secret, de l’intimité, du fantasme. L’astre de nuit s’entoure des fameuses gravures sur bois de Vallotton (Intimités) décrivant des scènes de couple en huis clos.
Hodler et Vallotton revisités par Ugo Rondinone
Les deux artistes auraient-ils apprécié le relooking de leurs intérieurs par Ugo Rondinone ? Epaulé par l’architecte d’intérieur Frédéric Jardin, le curateur mise sur l’excentricité et l’accumulation d’objets et d’oeuvres pour aménager deux garçonnières. Ambiance feutrée, rehaussée par les couleurs vives (vert pour Hodler, rose pour Vallotton) des tapisseries de style victorien et des rideaux majestueux. A ce jeu, c’est le désir et les fantasmes de Rondinone qui sont dévoilés. En jouant de son oeuvre « love invents us » (1999), des filtres de couleur posés sur les fenêtres, il convie notre regard à un ballet fréquent entre l’espace intérieur et le paysage extérieur.
Errance méditative d’Hodler à Vallotton
Baignant dans une lumière rouge, la stature et la force virile des guerriers suisses d’Hodler illustrent le sentiment d’identité nationale cher à l’artiste. Au dos des titans, Rondinone a épinglé les dessins préparatoires du peintre. Quel contraste entre ces petites feuilles de papier et les toiles grand format !
Quelques pas plus loin, nous sommes invités à la promenade et à la respiration. Des chevaux de verre, aux tonalités de bleu, attendent paisiblement devant les paysages lacustres du Léman et de Thoune. Fabriqués artisanalement par Rondinone, ils portent en leur flanc l’air et l’eau prélevés aux quatre coins du monde, faisant ainsi écho aux toiles peintes en plein air d’Hodler.
« Le temps s’enfuit, perdu pour toujours ». Virgile, Géorgiques, liv. III, v. 284.
Des horloges du Musée font entendre le son des mécanismes et le tic tac des aiguilles, amplifié au moyen d’une installation sonore. Notre temps est compté depuis qu’Adam et Eve ont été bannis du Paradis, devenant de simples mortels, comme le rappelle de petites gravures au mur. Derrière une porte secrète règne un silence presque religieux. Ô temps suspend ton vol ! Rondinone fait converser ces horloges de verre aux couleurs vives avec ses oeuvres minimalistes faisant miroir aux fenêtres garnies du fameux filtre » d’amour » (love invents us).
L’hommage à Vallotton débute dans une salle majestueuse rehaussée de bois chaud. Ugo Rondinone a choisi ses paysages aux couleurs sourdes, parfois irréelles et tout en courbes, dévoilant les états d’âme du peintre. Au sol, des danseurs nus (the nudes) se prélassent, les yeux clos. Vision étrange et apaisante qui nous incite à ralentir. Notre regard tente de pénétrer leurs pensées. Ces sculptures de taille humaine sont composées de cire transparente et de terre des sept continents. Ugo Rondinone nous rappelle sans cesse notre lien indéfectible avec la Terre Mère.
Notre parcours de l’exposition s’est déroulé durant la journée.
Lorsque le soleil se couche et que la lune apparaît dans le ciel, c’est tout le Musée qui devient une oeuvre d’art et l’expérience artistique se teinte de magie poétique.