Sonia Jebsen – mars 2025

Nous sommes ravies de vous présenter l’entretien avec l’artiste Marianne Badertscher, premier d’une série réalisée en collaboration avec iazzu.

Ce partenariat passionnant est dédié à mettre en lumière les artistes en comblant l’écart entre les régions germanophones et francophones de la Suisse et au-delà. En renforçant ces liens, nous visons à accroître la visibilité et à créer de nouvelles opportunités pour des talents exceptionnels.

Chaque mois, vous découvrirez les moments forts qui enrichissent la scène artistique et célèbrent ses voix remarquables. Restez connecté(e)s et profitez de la lecture !

Infos bio

Née en 1953 à Berne

Etudes : allemand et philosophie (Lic.Phil.1) à l’université de Berne puis les arts visuels à la Schule für Gestaltung de Zürich

A enseigné les arts visuels au collège d’Aarau

Depuis 1984, elle vit et travaille à Brugg (Aarau)

Sonia Jebsen : Expliquez-nous quelle place tenaient l’art et la culture dans votre enfance ?

Marianne Badertscher : Mes parents étaient tous deux enseignants dans une école rurale près de Langnau dans l’Emmental. Ma mère laissait beaucoup de temps aux élèves pour dessiner, peindre et sculpter des sujets de contes de fées avec du sable, des pierres et d’autres matériaux naturels.

Mes parents ont acquis des œuvres d’art, ils assistaient régulièrement à des concerts et des expositions. Mon père jouait du piano et ma mère chantait.
Ayant grandi à la campagne, je jouais avec mon frère, ma sœur et quelques enfants du voisinage.  À la maison, je consacrais mon temps libre à la peinture, au dessin et à la lecture.

Curieuse de nature, autodidacte par choix, Sonia partage  sa passion pour l’art et les artistes situés en Suisse et en France voisine. Vous la rencontrerez sans doute déambulant dans des galeries, des musées, des espaces d’exposition ou des ateliers d’artistes, appareil de photo en main. Son but : diffuser les informations  par l’écriture, l’image et créer du lien entre les différents acteurs du monde de l’art de la région lémanique. 

Sonia Jebsen :  Après des études de la langue allemande et de philosophie,  vous avez suivi une formation d’enseignant d’art quelques années plus tard. Quelles étaient vos motivations à l’époque ?

Marianne Badertscher : Je suis devenue mère assez jeune. À l’époque, j’étudiais la littérature et la philosophie à l’Université de Berne, en parallèle, j’ai obtenu un diplôme d’enseignement artistique pour le canton de Berne.
Mon mari était physicien et a reçu une bourse pour travailler à Los Alamos (Nouveau-Mexique) où nous avons vécu pendant 3 ans. De retour en Suisse, j’ai finalisé ma première formation (Lic. Phil. l), cependant  être enseignante comme mes parents n’a jamais été mon véritable but. La créativité fait partie de moi, alors j’ai rejoint la Schule für Gestaltung de Zurich.

le profil de Marianne Badertscher sur le site iazzu

et sur l’application digitale

Sonia Jebsen : Sur votre site web, il y a peu d’informations sur votre processus artistique et les techniques. Le papier et la gravure jouent un rôle important dans votre travail, pourquoi ce choix ?

Marianne Badertscher : Mon inspiration puise dans la rencontre avec la nature. J’enregistre mes visions lors de randonnées, de voyages, de promenades en ville ou chez moi, avec mon carnet de croquis. Mon regard se porte sur les couleurs, les formes et les constellations d’objets et d’éléments naturels.

Le papier de bonne qualité est un matériau précieux, aussi lorsqu’une aquarelle n’est pas réussie, je ne la jette pas, de même pour le papier d’impression. Bien qu’elles ne soient pas convaincantes, il y a de belles parties que je coupe ou que j’arrache. Je les collectionne pour faire des collages. Les parties collectées de différents travaux forment ainsi une nouvelle œuvre.

L’aquatinte donne vie à mes impressions. Ma dernière balade s’est déroulée dans le Binntal, en Valais.  Grâce aux croquis et aux photos, je conserve la chaleur et les formes des montagnes. Ensuite, je réalise un dessin aux dimensions des plaques que j’utiliserai. Le dessin est ensuite transmis à trois plaques (jaune, rouge et bleue) pour une aquatinte en couleur… ma préférée. Les plaques peuvent être grattées, retravaillées avec des résultats inattendus. J’utilise également la pointe sèche, le vernis mou et l’eau-forte.

Sonia Jebsen : Vous êtes très éclectique en matière de peinture. Que cherchez dans l’utilisation de ces diverses méthodes ?

Marianne Badertscher : Je ne limite pas un contenu ou un sujet à une technique spécifique. La pratique de l’aquarelle apporte beaucoup de satisfaction visuellement : la surface brillante du papier mouillé, les couleurs vives et saturées qui s’étalent. Mais le travail peut se transformer en quelques heures en  papier asséché et des couleurs ternies !

A présent, mes défis se jouent sur de plus grands formats (56cm x 76cm) m’obligeant à lâcher le contrôle. La fluidité de la matière apporte des résultats inattendus et c’est donc l’interaction des zones colorées qui crée le contenu. En revanche, les petits formats réalisés lors d’une randonnée exigent plus de précision.

L’acrylique ouvre à la spontanéité, sans trop de réflexion. L’œuvre évolue rapidement sans résistance, contrairement à la tempera ou à la gravure, mais je n’y trouve aucune sensualité. Mon utilisation de pigments et de tempera à l’huile d’œuf sur un support dur apporte des couleurs inattendues et laisse place à l’incertitude du résultat, inhérente à mon processus créatif.

Sonia Jebsen : Quels messages envoyez-vous au travers des petits formats ?

Marianne Badertscher : Le petit format s’est imposé car je pratique beaucoup la randonnée et le matériel doit être léger. Ensuite, mon  travail m’appartient. Il est semblable à un journal intime.  Pendant longtemps, je n’ai pas souhaité le montrer.

Si la tendance actuelle est aux grands formats dans divers domaines, pour moi, une œuvre n’a pas d’impact par sa taille, mais par son contenu et  sa qualité. Mon atelier n’est pas grand, mais bien situé, entouré de nature. L’atmosphère  y est propice à la création car protégée de toute perturbation, il me convient à merveille.

Les beautés de la Terre sont infinies et ne se manifestent pas uniquement dans les panoramas spectaculaires, mais aussi dans les petits trésors cachés : un lichen sur un rocher, une ombre violette sur le gazon… Je pense que les humains prennent beaucoup de place sur terre, alors une once d’humilité serait bénéfique. Et pour finir, une indifférence et une paresse de ma part, sans doute.

Sonia Jebsen : Votre œuvre peut être qualifiée d’abstraction figurative. Êtes-vous d’accord ?

Marianne Badertscher : Effectivement, le processus commence par des observations, comme la mousse sur une souche d’arbre. Je l’esquisse de différentes manières, j’essaie de la peindre et j’échoue. Je mets les croquis et les peintures de côté pour un temps. Six mois plus tard, les couleurs verte et orange m’attirent inspirant un travail abstrait. Alors, le souvenir de l’arbre surgit avec la mousse. Je continue à peindre sans savoir où cela me mène. Mon intention n’est pas que l’œuvre soit réaliste. même si la source peut transparaître.