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« Avant de commencer, vous avez combien de temps pour l’interview? C’est pour savoir comment je dose mes réponses…? » Passionné mais méthodique, Daniel Rossellat, directeur du Paléo nous a reçu juste avant la 40ème édition du festival.  Chaque année plusieurs milliers de spectateurs se donnent rendez-vous pour une semaine de musique qui mêle têtes d’affiche mondiales et jeunes artistes. Pour cette édition 2015, les 230 000 billets se sont vendus en moins d’une heure: Yael Naim, Sting, Black Keys, Flavia Coelho, Benjamin Clementine, Christine and the Queens… Plus d’une centaine de troubadours sont venus faire la fête sur les rives du Léman.

Daniel Rossellat est l’un des fondateurs de cet événement dont le statut est toujours celui d’une entreprise associative qui compte aujourd’hui 65 salariés. Pour diriger l’aventure, l’homme a les pieds bien ancrés au sol, déroulant devant nous  les détails des cette histoire de quarante ans comme s’ils s’inscrivaient dans une suite logique. Mais le Paléo est bien le résultat d’un pari fou, celui d’un groupe de jeunes animateurs qui en 1973 se prennent à rêver d’un Woodstock au bord du lac.

Comment est né le Paléo Festival?

J’avais 19 ans, je venais de terminer un apprentissage de mécanicien électricien et de commencer un diplôme d’ingénieur. Pour payer mes études, je travaillais comme animateur socio-culturel à la Maison des Jeunes à Nyon, avec des adolescents plutôt en difficulté et en rupture avec l’école et leurs parents.  J’étais passionné de musique, alors je me suis dit qu’on allait essayer d’élargir l’horizon musical de ces jeunes en amenant des disques et en leur faisant écouter autre chose que les tubes de l’époque. Et puis avec les autres animateurs, on a décidé d’organiser un concert, le but étant de leur donner un rôle et des responsabilités… Et tout d’un coup les mêmes qui étaient blasés de tout ont eu des étoiles plein les yeux… On a découvert la magie du spectacle!

C’était le 12 mars 1973, on avait eu un petit nombre de spectateurs mais l’expérience était positive.  Ensuite nous avons créé une association pour organiser d’autres concerts: le Folk Club de l’Escalier qui a donc changé de nom pour s’appeler « Paléo » en 1986.  On s’est vite rendu compte qu’il y avait un petit souci:  si on invitait des artistes qu’on aimait beaucoup, ils n’étaient souvent pas assez connus, il n’y avait pas assez de monde et c’était difficile financièrement. Si on invitait des artistes plus connus, on n’avait pas de salle assez grande pour accueillir le public qui pouvait payer leur cachet.  Donc on avait de la peine à réaliser nos rêves, c’était bien joli de parler de musique, mais à un moment il fallait quand même parler de chiffres!  On a eu l’idée du festival, en se disant qu’on pouvait avoir des têtes d’affiche qui jouaient le rôle de locomotives pour vendre les billets. Le format du festival avait aussi un autre intérêt: la vente de nourriture et de boissons permet de générer des recettes, ce qui n’est pas vraiment possible avec un concert unique.  Notre premier festival a eu lieu à l’intérieur dans la salle communale de Nyon, du 2 au 4 avril 1976… Nous avions déjà le rêve de faire un festival en plein air,  forcément un petit peu inspirés par Woodstock (1969) même si on se disait bien qu’on n’allait pas faire la même chose!

Les grandes étapes?

1977, en juillet, le premier festival en plein air s’est déroulé sur un terrain à Nyon mais côté lac, dans le quartier de Colovray. 16 500 spectateurs sur quatre jours, pour nous c’était magnifique.  A la deuxième édition, on a eu 33 000 spectateurs, la troisième 45 000…

Nous sommes restés sur ce terrain jusqu’en 1989, puis nous avons été obligés de déménager pour céder la place à un projet immobilier. On n’a pas eu le soutien des autorités qui estimaient que les promoteurs étaient des gens sérieux, et les organisateurs de festivals, pas. C’était un crève-coeur, un échec, le festival était sur le point de mourir… Finalement, on a réussi à trouver un autre terrain, celui sur lequel nous sommes toujours.  En 1994, 179 000 billets vendus, c’était de la folie. Cela nous a apporté deux choses: d’abord on a pu créer un fond de réserve pour les coups durs, et ensuite réfléchir sur nos standards et nos critères: nous avons décidé d’agrandir le terrain et de limiter le nombre de billets pour faire un festival de qualité. Dans l’association, certains d’entre nous pensaient que c’était trop dangereux et qu’il fallait plutôt répondre à la demande. Mais il était évident que de toute façon on allait vivre avec la frustration: si on vendait trop de billets, la qualité de l’accueil ne serait pas bonne et nous aurions des spectateurs déçus… Si on admettait que des spectateurs potentiels ne puissent pas trouver de place, on pouvait supposer qu’ils viendraient quand même un jour ou l’autre…

Finalement, pour cette édition, nous sommes complets pour la seizième fois de suite. Cette année, 230 000 billets sont partis en 52 minutes, sans aucune campagne de publicité, c’est un choix, notre ancrage et notre notoriété sont plutôt régionales même si parmi les festivals francophones, le Paléo est incontournable…

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La programmation?

Au départ c’était assez simple, on marchait à l’affect en essayant d’inviter tous les artistes qu’on aimait.  On a parfois eu des succès inespérés et d’autres fois des échecs. Par chance, Jacques Monnier (co-fondateur) et moi sommes assez éclectiques, on se connait depuis l’âge de cinq ans et nous sommes complémentaires: lui aime le rock et les musiques du monde, moi la chanson et la musique classique… C’est Jacques qui s’occupe de la programmation aujourd’hui. Les artistes nous connaissent, leurs agents nous contactent pour la plupart, on a une excellente réputation. On a la chance d’avoir un bel engouement et de pouvoir présenter chaque année une programmation différente. Progressivement on a élargi l’horizon musical, le festival se décline en trois axes très importants: rock-pop, musique du monde et francophone. La chanson et la langue française restent l’axe le plus important, elles font partie de notre identité et nous les défendons. On s’ouvre à d’autres musiques selon les périodes ou les modes, que ce soit le reggae, le hip hop, l’humour, les arts du cirque que l’on a depuis très longtemps, la musique classique, électronique… Nous avions un public qui changeait. Chaque année on prenait une année de plus, donc, on ne pouvait pas juste faire ce qui nous plaisait, sinon on serait resté dans un certain style de musique… Il s’agit d’être attentif aux nouveaux sons et de mettre un accent particulier sur les artistes émergents. Le festival est devenu multi-générations, nous avons aujourd’hui les parents et leurs enfants!

Le Paléo de demain?

Pour nous le plus important c’est d’avoir une qualité d’accueil et une originalité, une offre différente d’autres festivals. On doit être bien plus qu’une suite de concerts.  Les records de fréquentation, ce n’est pas notre objectif. Si vous pensez à un vigneron,  il a son vignoble et il n’est pas obligé de l’agrandir, ce qu’il veut simplement c’est que chaque année son vin soit le meilleur possible. On apporte un soin très important à tout ce qui est lié à l’accueil, des spectateurs et des artistes,  mais aussi dans les choix de restauration, le rapport qualité-prix de cette restauration, la décoration, les installations artistiques, et dénicher des projets innovants. 75% des artistes qui viennent chaque année ne sont jamais venus!

Meilleur et pire souvenir?

Très cruel de n’en choisir qu’un.  Paradoxalement des moments ont été forts alors que les conditions étaient terribles. Neil Young sous l’orage, ou Paul Simon qui avait dû arrêter son spectacle. Je suis allé lui demander s’il était d’accord de remonter sur scène et de rejouer seulement avec sa guitare, il y avait juste le micro-voix et le micro-guitare, tous les autres canaux de sonorisation avaient sauté. Le temps qu’on remette tout en route, il a joué seul à la guitare, c’était un moment magique… Les souvenirs les plus émouvants naissent souvent quand un artiste est en danger, c’est-à-dire qu’il fait autre chose que ce qu’il fait d’habitude ou qu’il n’a jamais joué devant autant de monde et là, ça crée des rencontres très émouvantes avec le public…

Propos recueillis par Sophie Durouchoux et Claire-Alice Brenac, juillet 2015