Sonia Jebsen – septembre 2023
En ce début d’automne, l’exposition qui a piqué notre curiosité se trouve à Divonne-les-Bains, en France voisine. Direction la galerie/librairie Carré 76 pour découvrir le travail du peintre français Marc Tanguy, amoureux des couleurs et de la nature. A voir jusqu’au 28 octobre prochain.
Le parisien Marc Tanguy (1959) a toujours vécu dans la capitale française et possède un atelier à Belleville. Durant ses études aux Beaux-Arts et aux Art Décoratifs, il reçoit l’enseignement du célèbre peintre d’origine chinoise, Zao Wou Ki (1920-2013), décédé à Nyon (Vaud). De ce « professeur », l’apprenti d’alors garde en mémoire des phrases courtes et percutantes telles que « Soyez libres » ! Un conseil qu’il a intégré avec le temps dans son processus créatif et qui imprègne toiles et aquarelles.
Les coups de foudre artistiques confirment sa vocation d’artiste et son style pictural. D’abord il y a ce voyage à Venise, la Sérénissime. Marc Tanguy a 20 ans, il découvre Titien, Bellini ou Le Tintoret. « Le choc a été profond, j’ai compris la puissance du potentiel poétique de la peinture, c’est cette rencontre qui m’a déterminé à choisir la peinture ». confirme l’artiste.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
En 1983, il a une révélation en visitant l’exposition sur Pierre Bonnard au Centre Pompidou. L’oeuvre du peintre nabi, étiqueté bourgeois, est éclipsée à cette époque par celle de l’imposant Picasso. »Il semble qu’aujourd’hui, le vent a tourné et que c’est bien Bonnard qui intéresse les jeunes artistes. Il a compris le pouvoir expressif de la couleur, plus que tout autre, et sa relation au monde est moins brutale que celle de Picasso, sans doute est-elle plus proche des aspirations des jeunes générations », constate l’artiste.
Pour Marc Tanguy, la couleur est un matériau, une substance plus qu’une longueur d’onde… »les couleurs existent en relation les unes aux autres, il y a là un formidable terrain d’exploration, d’improvisation et de poésie ». Dans cet espace très intime, le peintre s’en donne à coeur joie. Les impressions paysagères d’ici et d’ailleurs ressemblent à des feux d’artifice et même Paris prend des airs d’immense jardin.
L’artiste approche son sujet par le dessin, la peinture sur motif ou la photographie comme support documentaire. Mais c’est au coeur de l’atelier que la toile voit le jour. « Copier le visible n’a aucun intérêt. Jouer avec les processus naturels (qui sont aussi ceux de la perception), par contre, me parait passionnant », commente le peintre. Les couleurs apposées par touches vibrent de poésie sur la toile ou se diluent dans les aquarelles sur papier. La frontière s’estompe parfois entre figuration et abstraction.
Le hasard a t’il un rôle dans la création ? Marc Tanguy préfère parler de chaos ou de désordre. A chacun son interprétation qu’il voit un nuage, un visage ou un animal. « Une image trop lisse est ennuyeuse, elle s’impose de façon péremptoire. Autoriser une part de chaos permet à une certaine polysémie de s’installer », explique t’-il.
Des lumières de la Méditerranée en passant par la rude beauté des Alpes suisses, ou les visions nocturnes et végétales de Paris, notre imagination prend le large. La peinture représente t’-elle un dépaysement pour l’artiste contemplatif ? « Je la qualifierais plutôt d’enracinement. Retrouver le monde qui nous entoure par la perception, la sensation, ou l’émotion. Nous sommes constamment sous emprise des images et médias numériques. Singer le visible c’est une forme de collaboration à ce système aliénant. Il me parait important de retrouver la nature de ce que nous sommes au fond : une espèce animale presque comme les autres, et de tenter de rester modeste face à la nature qui de toute façon est au final gagnante ».
Quelle est votre définition de l’artiste ?
Marc Tanguy répond en citant Marcel Proust : « Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et qui bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont ils émanaient, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient leur rayon spécial. »