Virginie Hours – Juin 2017
Si Armel Le Cléach a gagné le Vendée Globe, le suisse Alan Roura, 23 ans, plus jeune compétiteur de l’histoire de la course, a suscité un engouement particulier qui ne faiblit pas. A l’occasion de la sortie de son film et de sa participation au Bol d’Or comme parrain et skipper, rencontre au long cours sur le port de Versoix avec un jeune homme qui sait garder son cap!
VH : « Alan Roura, l’aventure au bout du rêve » le film de votre Vendée Globe a vu le jour grâce à…?
Alan Roura : …mon antenne qui n’a pas marché! Pour pouvoir montrer aux gens ce qu’ils n’ont pas pu voir au Vendée Globe, on doit faire des vidéos. Mais je n’ai pas pu les envoyer… Les sponsors ont pris la décision de récupérer les images et de monter ce film et c’est une superbe idée! Des films sur le Vendée Globe, il n’y en a pas eu beaucoup. Cela va permettre peut-être de donner une idée de ce qui s’y passe réellement. Humainement c’est très difficile… Je suis content que « l’aventure au bout du rêve » sorte car les gens ne réalisent pas ce qu’est le Vendée Globe sur ce genre de bateau. C’est aussi la continuité de la communication et dans l’idée de partager de jolies choses, c’est super important.
VH : Le petit plus qui vous a aidé à tenir ?
AR : Se dire que chaque jour peut être le dernier car le Vendée Globe peut s’arrêter brusquement: taper, couler, casser le mât… On vit le moment jour après jour. Surtout, on ne se dit pas « il me reste 50 jours » dans la tête. J’ai vécu le Vendée comme ça et c’est ce qui m’a aidé. J’avance à ma manière, j’ai mon rythme et je vis jour après jour l’aventure. Après, je connais bien les bateaux, je connais bien la mer, ça m’a aidé aussi à gérer le bateau.
VH : Et vous n’aviez pas de pression non plus…
AR : Je n’avais pas de pression… mais je m’en suis mis énormément ! En fait, au début, l’équipe à terre me poussait « Alan, il faut que tu tires devant, que tu les rattrapes. » Et je leur répondais « mais non, les gars, cool. On n’a pas les mêmes moyens, les mêmes bateaux, je suis là où je dois être. » Et après c’était l’inverse: je voulais absolument être dans le bon peloton avec mon vieux bateau, à tirer dessus comme un malade pour coller aux autres. Et à terre, ils me disaient, « mais Alan, c’est bon, quoi… » Donc oui, je me suis mis pas mal de pression, voire trop à des moments. Mais c’est bien, ça m’a aussi permis d’aller au bout, d’être au taquet.
VH : Avez-vous pensé à abandonner et quelles ont été vos plus belles joies et vos plus grandes peurs?
AR : Peur, oui on se fait peur. Se dire « abandonner », là non jamais, à aucun moment pendant la course, je me suis dit « ah oui, là je crois que je vais abandonner ». Non, il n’y avait aucune question à se poser.
Les plus belles joies… Le départ, le Cap Horn et l’arrivée et entre ces 3 points, il y a des joies complètement différentes. Des joies d’émotions fortes quand on prend le départ du Vendée Globe… C’est une victoire déjà mais qui se mélange avec une peur, celle de ne pas rentrer. C’est une sensation très bizarre. Le Cap Horn, c’est l’explosion de joie car mince, je suis au Cap Horn, quoi ! Et la joie d’arriver, très intense, est aussi dure à vivre car tout s’arrête. C’est la joie et à la fois la peur car on se dit que c’est déjà fini. Les plus mauvais moments… Le coup où je tape et j’arrache le safran. Ce n’était pas très sympa et avec le recul, c’était un moment super parce que le bateau a renavigué et j’ai pu finir ma course. En fait, c’est ça : sur l’eau, il y a 80% de mauvais moments et 20% de bons et quand on arrive à terre, ça s’inverse. Donc, au final, tous les moments ont été top.
VH : Comment expliquez-vous l’engouement que vous avez suscité ?
AR : Déjà, je suis le seul suisse sur le Vendée. La Suisse est un petit pays mais mine de rien, beaucoup de suisses touchent au lac et quand on touche à l’eau, on s’intéresse à ce qui se passe sur la mer. Ça a beaucoup aidé. Et puis, je suis un peu différent des autres profils de régatier pur et dur. J’aime bien les belles histoires. Donc, je suis vite devenu le « petit Alan. » Et les gens se sont vraiment rapprochés, amicalement. C’est super sympa et je ne m’en rends toujours pas compte. Je vois qu’il y a un engouement impressionnant, c’est incroyable. Maintenant, pourquoi ? Je pense que c’est la communication qui fait tout le travail car si tu fais un tour du monde et que tu ne communiques pas dessus, personne ne te connaît et personne ne te suit. Dans les entreprises, quand j’entends parler les gens, le premier truc qu’ils faisaient au boulot, alors que je ne les connais pas, c’était de regarder où j’étais, comment ça se passait.
Aurélia : À la différence de la plupart des sportifs que l’on admire pour leur performance, il y aussi la personnalité d’Alan qui a touché les gens. Ils se sont sentis proches de lui, ils l’ont pris sous leur aile. C’était « vas-y mon p’tit », « allez, p’tit gars », « vas-y bonhomme ». Les gens le considéraient comme le petit gars du village…
VH : Et qu’est-ce qui attire dans sa personnalité ? Le fait qu’il n’a pas froid aux yeux, qu’il a confiance dans la vie ?
Aurélia : Il est sincère, spontané, frais, sans langue de bois.. (elle s’adresse à lui) T’es vrai, quoi ! Tu n’es pas dans le calcul…
AR : Je ne sais pas, ce n’est pas à moi de le dire…
Lexique :
Bol d’Or : régate en équipe, sans escale, de Genève au Bouveret, aller-retour, du 16 au 18 juin 2017
Route du Rhum : en solitaire, sans escale et sans assistance, de Saint Malo/Cancale (France) à Pointe à Pitre (Guadeloupe)
Transat Jacques Vabre : en double, sans escale et sans assistance, du Havre (France) à Itajai (Brésil)
Vendée Globe : en solitaire, sans escale et sans assistance, des Sables d’Olonne (France), tour du monde
VH : Ellen MacArtur est arrivée 2ème du Vendée Globe en 2000-2001 à seulement 24 ans… Elle remporte ensuite la Route du Rhum, bat le record du tour du monde à la voile en solitaire… 10 ans plus tard, elle se déclare retraitée et vit désormais sur l’ïle de Wight. Vous, vous avez déclaré « en 2020, je veux avoir un autre bateau et d’ici là, je veux m’entraîner. » C’est difficile de se relancer après avoir réussi ce que beaucoup appelle « l’Everest de la mer » ?
AR : On a un programme de course sur les 4 prochaines années, de préparation : Jacques Vabre à la fin de l’année, la course du Rhum, encore une autre Jacques Vabre, potentiellement deux autres courses transatlantiques et puis, à nouveau le Vendée Globe. C’est quand même beaucoup de navigation en double, ce qui permet de vraiment tirer sur le bateau…
VH : Les courses prochaines, les voyez-vous comme des préparations ou des courses spécifiques avec un challenge qui vous intéresse ?
AR : La Jacques Vabre et les autres courses transatlantiques, c’est purement de la préparation pour le Vendée : entraînement, test pour le bateau… Par contre, la Route du Rhum, c’est autre chose. J’ai pris une fois le départ, en 2014 et je ne l’ai jamais terminée. Donc, j’ai envie d’y retourner, pas pour me préparer pour le Vendée Globe, mais pour boucler cette course car c’est une très belle course, prestigieuse, qui m’attire depuis toujours. C’est important pour moi.
Alan Roura
&
Virginie Hours
VH : Qu’est devenu le bateau ? On dit qu’un rapport assez fort se noue entre le skipper et son bateau… Vous ne l’avez pas abandonné ?
AR : Il est à Lorient en stand-by car le bateau n’est pas à moi. On me l’a prêté. Je dois le remettre en état mais avant, je dois savoir ce que le propriétaire veut en faire car le chantier ne sera pas le même. Tout dépend s’il veut le vendre, le garder, le louer. Comme je commence à avoir des idées sur ce qu’il veut, on va commencer incessamment sous peu le chantier de remise en état du bateau et puis après ça, on le rend. Donc, il n’est pas à l’abandon mais il est tout seul au port… Il est désarmé, c’est le seul qui est encore à Lorient dans l’eau en attendant les 2-3 bricoles à faire. Mais il est entretenu, l’équipe le surveille… Il n’est pas à l’abandon.
VH : Quand vous parlez d’équipe, de qui parlez-vous ?
AR : Nous sommes 4. Aurélia qui est chef de projet, touche un peu à tout mais sera responsable de la communication sur les prochaines courses. Gilles et Alexis sont préparateurs et moi, le skipper… Je fais aussi la préparation.
VH : Après 3 mois en mer comment va la vie à terre ?
AR : C’est assez dur physiquement car si le haut du corps va bien, je n’ai plus rien dans les jambes. Donc, marcher ne serait-ce qu’un kilomètre me fatigue très vite. Petit à petit, ça va mieux mais les journées ne sont pas assez longues pour ce qu’on a à faire. Moralement, ça va car les projets avancent et je ne réalise pas non plus ce qui s’est passé. Pour moi, j’ai fait une nav, je suis content. Je pense au Vendée mais ce n’est pas réel.
Avec Aurélia, on est parti 6 jours alors que ça fait 4 ans qu’on n’a pas eu de vacances. C’est un peu court. Il y a tellement eu de demande médiatique, de conférences, de sponsor… Il s’agissait aussi de surfer sur la vague du Vendée pour se relancer pour la suite. C’était le moment ou jamais. Donc, on en a profité.
VH : Versoix, où vivent vos parents, et Lorient où vous vivez sont vos deux ports d’attache…
AR : Je n’ai pas grandi à Versoix mais à Port-Noir où mes parents avaient un bateau. En revanche, mes grands-parents ont un chalet dans le haut de Versoix. Quand j’étais gamin, on se retrouvait presque tous les week-ends chez eux… et on se baignait dans le lac ici. Aujourd’hui, mes parents y habitent, donc on vient régulièrement. C’est vrai qu’on a voyagé pendant 11 ans. Toute mon enfance, je l’ai passé sur un bateau, mais je suis né en Suisse de parents suisses. Je suis suisse, quoi ! C’est mon pays. Mais je suis aussi un enfant du monde car j’ai grandi à travers le monde.
Aujourd’hui je vis en Bretagne parce que tout se passe là-bas. Comme Bernard Stamm est à Brest ou Dominique Wavre est dans le sud ou à la Rochelle, on est obligé de quitter la Suisse pour vivre nos rêves, pour faire ce dont on a envie parce que le lac n’est pas assez grand et que les bateaux demandent beaucoup d’entretien, d’infrastructure. Or, c’est en Bretagne ou dans le sud de la France, sur des côtes que c’est possible.
VH : On dit souvent qu’un bon marin fait un bon montagnard car la pratique de la mer et celle de la montagne nécessitent les mêmes qualités…
AR : Je ne dois pas être un très bon marin, alors… Moi, la montagne, j’aime bien mais je n’y vais pas. On n’a pas la même liberté qu’en mer. Aussi le souci des marins à la montagne, c’est que si on fait un peu de sport, on prend un risque, par exemple celui de faire du snow et de se casser une jambe et de ne pas pouvoir courir une course au large…
VH : Et naviguer sur le Léman? Certains disent qu’il n’est pas si facile à naviguer et que c’est une bonne école…
AR : Le Léman ne m’a pas aidé plus que ça car c’est très différent de la mer. Il aide dans le petit temps, le réglage de voile… Le seul souci c’est que moi, je n’aime pas le petit temps. C’est quelque chose qui m’énerve énormément, qui me fait perdre patience. Mais le lac est dur car les vents sont instables. Ceux qui commencent sur le lac gagnent à chaque fois car ils ont le don de voir la risée qui va bien. Moi, je ne l’ai pas même si, quand je suis sur le lac, j’arrive à faire des bons scores en général… Je n’ai pas de vision. Je me sens enfermé. Donc, oui c’est une école. Souvent, certains disent que c’est la meilleure école. Ça fait de très bons marins mais si on regarde leur parcours, ils sont allés en mer très rapidement! Donc, apprendre sur le lac et aller ensuite en mer, c’est très bien. Ici, ils naviguent très peu dans de grosses conditions alors que moi, j’y vais pour sortir dans du gros temps. C’est comme ça, j’aime le gros temps. Ça vaut le coup. On voit ce que vaut le bateau.
« Alan Roura, l’aventure au bout du rêve » de Dominique Gabrieli
Projection en présence d’Alan Roura :
Jeudi 1er juin à 20h30 : Cinéma Capitole Nyon
Vendredi 2 juin à 19h et 21h : Cinéma City Pully
Jeudi 22 juin à 21h : Cinéma les Scala Genève
En cours de programmation à Lorient