Sonia Jebsen – février 2022
Installé dans la campagne genevoise avec sa famille, le peintre Gregory Thielker nous accueille dans son atelier lumineux. Partons à la découverte de cet artiste, originaire des Etats-Unis, globe trotter et contemplatif dans l’âme. Entre peinture hyper réaliste et aquarelle, il challenge notre regard sur la nature environnante afin d’en capter la fragilité et la beauté.
Sonia Jebsen : Quels chemins avez-vous emprunté vous menant au métier d’artiste ?
Gregory Thielker : J’ai tout fait pour ne pas l’être. Plus exactement, je n’imaginais pas le devenir dans notre monde actuel. Peindre et dessiner font partie de ma vie depuis l’enfance. Durant mes études à l’université, j’ai suivi des cours d’histoire de l’art, en particulier celle du XIXe. Les ciels bleus de Corot me captivaient et les peintures de Rembrandt me procuraient une profonde émotion. Travailler dans un musée m’aurait assuré la proximité avec l’art, mais il m’aurait manquait quelque chose d’essentiel.
Au cours de ma dernière année d’études, j’ai visité une exposition de Gerhard Richter au MoMa à New-York, mon premier contact avec l’art contemporain. Ses peintures d’un attrait indéniable m’ont procuré les mêmes sensations que celles éprouvées devant les grands maîtres.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Sonia Jebsen : Vous avez vécu dans de nombreux pays. Que retirez-vous de ces expériences, ont-elles une influence sur votre peinture ?
Gregory Thielker : La nature étant mon sujet de prédilection, la recherche de sites, de vues fait partie de mon processus créatif. Mais pourquoi choisir un lieu plutôt qu’un autre ? La réponse s’ancre au-delà du visible, dans la mémoire et l’aura. Ce fil conducteur m’a mené en Inde, sur la Grand Trunk Road, une des plus vieilles routes commerciales d’Asie. J’ai vécu à Delhi pendant deux ans pour le projet de liaison routier entre Delhi et Calcutta. Chaque jour, je dessinais au crayon une scène en bord de route d’une portion de 76 km. Cette routine m’a obligé à revoir mon approche du sujet en permanence. Chemin faisant, les rencontres m’ont permis d’apprendre sur l’histoire, les légendes locales, et l’impact de la construction sur la vie des gens.
Un de mes projets s’est déroulé sur la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Durant mon voyage, j’ai réalisé des aquarelles servant de documentation visuelle, imprégnées de mes perceptions d’artiste.
Sonia Jebsen : Quels médiums utilisez-vous ?
Gregory Thielker : Pour moi, la peinture et le dessin révèlent la main de l’artiste. Ma journée débute souvent par un sketch au crayon pour me relaxer et me débarrasser de mes inhibitions. Dessiner sous entend un état d’esprit positif et équilibré. Il en est de même pour la peinture, ainsi je m’exerce avec plusieurs couches jusqu’à l’obtention d’une image finie. Pour moi, une oeuvre peinte est un mélange de marques sur une surface et une image crédible.
Sonia Jebsen : La série « Under the unminding sky » interpelle particulièrement. Vous reproduisez votre vision brouillée par la pluie durant des déplacements en voiture. Expliquez-nous.
Gregory Thielker : La route décrit un trajet au cours duquel nous découvrons des paysages. Nous les observons différemment selon notre position. Lorsque je peins cette série, j’ajoute de l’eau sur le pare brise afin de jeter le trouble. Les perspectives s’échappent et se réduisent lorsque les formes et les couleurs se fondent entre elles. Ces oeuvres sont nées d’expériences vécues et ont un lien étroit avec la peinture : sa fluidité, sa transparence, sa capacité de superposition et de fusion.
Sonia Jebsen : Dans la nouvelle série d’aquarelles en noir et blanc, vous laissez la nature jouer avec vos oeuvres. Expliquez-nous comment.
Gregory Thielker : Ces lieux de nature représentent des souvenirs de promenade à proximité de ma maison. Je pratique la peinture en plein air, grâce à l’aquarelle, je transcris mieux ce besoin urgent de m’isoler en extérieur. Le blanc et noir permettent d’épurer ma vision. Avec ce médium, j’ose inverser le blanc et le noir créant des images opposées, comme des négatifs en photographie. Le rendu reste néanmoins réel. Depuis peu, j’ose détruire certaines de mes aquarelles en les oubliant, en les brûlant ou en les enterrant là où elles m’ont été inspirées. Les peintures sont un miroir de l’instabilité et de la fragilité inhérente à la nature.
Sonia Jebsen : Vous vivez près de Genève depuis deux ans. Quel est votre regard sur la scène artistique suisse ?
Gregory Thielker : Ma famille et moi sommes chanceux de vivre ici dans une région paisible. En ce qui concerne l’art, j’ai eu le plaisir de découvrir de nombreux musées, tels que la Fondation Beyeler, le Kunsthaus à Zürich, le Mamco, ains que le Musée Frantz Gertsch. Je vais fréquemment visiter des galeries à Genève avec mes amis. Etre artiste de nos jours est très excitant grâce aux réseaux sociaux, mais profiter des expositions dans la réalité est tout aussi essentiel.
Sonia Jebsen : Quels sont vos artistes favoris ?
Gregory Thielker : Ceux qui arrivent en tête de liste sont Gerhard Richter, Vija Celmins, Ana Mendieta, Zhang Huan, et Rudolf Stingel. Parmi les plus jeunes que j’ai découvert sur Instagram, je peux citer Eliana Marinari, Juliette Sallin, Valentin Van Der Meulen, Mike Silva, Yongtak Choi et tant d’autres…