Sonia Jebsen – juin 2021
Arborescence. Le titre de l’exposition annonce un bain de nature, un moment de tranquillité, de méditation… aux Ports Francs de Genève. En effet, l’artiste française débute le cycle d’expositions organisé par Anne-Claire Bisch, nouvelle directrice depuis septembre 2020. Fan invétérée de Victoire, elle souhaite voir accrocher ses œuvres dans son bureau, puis lui propose, pour la remercier, d’exposer dans cet espace magnifique du 27 mai au 2 septembre 2021, ses peintures les plus récentes.
Sonia Jebsen : Quelle est la thématique de cette exposition ?
Victoire Cathalan : La plupart des œuvres sont récentes.
La période que nous venons de traverser m’a permis d’approfondir mon travail pictural, particulièrement sur toile naturelle. Je présente aussi des encres sur papier, dialogue récurrent avec mes peintures.
Participent aussi à cette exposition des empreintes d’écorce en lien direct avec cette connection que je fais entre la peinture, son support et les médium naturels.
Arborescence met en lumière le lien entre l’humain et la nature inspirant mon travail depuis des années.
L’ observation des lieux de vie, des habitats, des différentes culture, ainsi que ma fascination pour les forêts, les arbres et leur symbolique nourrit mon œuvre. Je peins la fusion entre l’urbain et la forêt, le tactile et le visuel, comme pour les écorces. Leur texture, telle une peau aux rides profondes, marquée par le temps, nous rappelle notre éphémérité sur terre. J’utilise une toile brute, naturelle et crée mes couleurs à partir de pigments secs. Ces techniques donnent un sentiment de force tranquille.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Sonia Jebsen : Vous avez beaucoup voyagé, surtout dans des pays hispanophones. Leur nature exubérante influence t-elle votre travail ?
Victoire Cathalan : Oui, J’ai voyagé par curiosité mais aussi pour dans le cadre d’expositions au Costa Rica, au Brésil, en Espagne, au Portugal…
Les couleurs fortes, la luxuriance de la végétation ainsi que le rapport des autochtones au monde végétal, m’ont fortement marquée. Feuilles, troncs d’arbres, branches, racines, sont ma peinture, et ce spontanément. Les nuances de vert et les couleurs terre n’obéissent pas à une reproduction réaliste.
Un vert pale devient un jaune, un marron vire au violet… A ce niveau, réalisme et abstraction cohabitent depuis toujours. Je m’inspire de dessins et photos en noir et blanc. Les croquis sont dessinés au crayon ou à la pierre noire, ce qui me laisse toute liberté pour la couleur et lui donne un caractère plus intime.
Sonia Jebsen : Pour illustrer ce qui a été dit, allons regarder quelques-unes des toiles exposées.
Victoire Cathalan : Infinity est un diptyque qui présente le revers de la toile peinte. L’huile traverse la toile et révèle l’âme de la couleur, l’esprit de la forêt.
Deux peintures cohabitent, Future Lands 1 et 2, sans être un diptyque. Leur format particulier accentue l’effet de hauteur, d’élévation. On y voit une projection utopique où la nature reprendrait ses droits. Les troncs expriment stabilité et protection pour l’humain.
Très tôt, je me suis intéressée aux cultures d’Amérique Centrale et du Sud, qui ont intégré la nature entièrement dans leur façon de vivre. Symbolique, chamanisme, mythologies. Au fil du temps, l’esthétisme et la philosophie de la culture japonaise sont apparus également dans mes toiles. Ces échanges de culture sont un point très enrichissant dans les discussions avec les spectateurs de l’exposition.
Une toile un peu plus loin a des reflets de pigments cuivrés, or, ayant un effet sourd et intime. Nous pourrions être au Brésil, mais aussi au Japon ou en Thaïlande… Dialogue des cultures…
Sonia Jebsen : Les titres sont en anglais, pourquoi ce choix ?
Victoire Cathalan : J’écoute beaucoup de musique anglo-saxonne lorsque je travaille. Le nom des oeuvres est important et certains mots ou expressions anglais n’ont pas le même sens en français. Une des très grandes toiles,“Through”, exprime transparence, passage des cités exotiques aux villes enneigées, peinture traversante, lien nature-habitat…
Sonia Jebsen : Que retrouve-t’on de votre personnalité dans cette série ?
Victoire Cathalan : Ma culture, j’ai été élevée dans l’amour de l’art, puis mon apprentissage technique aux Arts Décoratifs. Cette école m’a permis d’aborder beaucoup de médias. La lithographie, la photo, la gravure, la sculpture, me permettaient d’appréhender la matière des arbres et du silence épais de la forêt.
J’ai abordé en parallèle la couleur en m’inspirant de façades d’immeubles dont l’architecture me faisait toucher cette corde sensible entre le réalisme et l’abstraction. Ces deux univers ont fusionné grâce à la peinture, le médium le plus complet selon moi.
Aujourd’hui, l’exposition représente un travail de maturité, de réflexion, de positionnement. C’est une période très positive par les évènements et les rencontres avec des personnes bienveillantes. Je me documente beaucoup sur la nature, les arbres, je pratique la méditation et le yoga au quotidien. La peinture m’a appris la patience, être dans l’instant présent. Mes toiles sont réalisées dans le sens de la méditation et amènent le spectateur à ce moment de recueil. Lorsque je me lance sur une nouvelle oeuvre, le dessin est précis mais le résultat final me surprend toujours. Je comprends parfois, bien plus tard, pourquoi je suis allée dans ce sens.
“Je suis touchée par les témoignages des spectateurs qui parlent beaucoup de l’apaisement qu’ils ressentent. C’est dans cet esprit que j’ai travaillé ces toiles”, dit Victoire avec émotion. La peinture ne consiste pas uniquement à créer du beau mais aussi à vivre l’instant présent. La boucle est bouclée.