Sacha Després – Septembre 2017

Antoine Jaquier bythelake.ch

© Photo Darrin Vanselow

Sacha Després : Dans Légère et court-vêtue, la génération Y que vous scannez semble idéologiquement prisonnière d’un système libéral à bout de souffle. Ce livre est-il un livre politique ?

Antoine Jaquier : Ce n’est pas un livre politique mais les résultats de l’inconséquence politique de ces dernières décennies sont mis en exergue. La génération Y doit se construire dans un contexte socioprofessionnel désastreux. Les valeurs communes ont disparu et le sentiment d’appartenance est rare. La quête de sens est laborieuse.

À force de tirer sur la corde du capitalisme, qui à mon avis est le système le moins pire développé jusqu’à aujourd’hui, on entre dans l’ultralibéralisme avec en prime un déferlement incontrôlé des technologies numériques. À part le dieu Argent, plus personne n’est aux commandes. La classe moyenne s’appauvrit. Est-il possible de s’épanouir dans ce monde-là lorsque l’on a vingt-cinq ans ? est ma question centrale.

SD : L’héroïne de votre dernier roman, Mélodie, revendique son droit à vivre « légère et court-vêtue » en Suisse mais fantasme, lors de son escapade marocaine, sur le fait d’être soumise à l’homme qu’elle désire. La génération Y est-elle selon vous une génération féministe ?

AJ : Non je ne crois pas que la génération Y soit particulièrement féministe. En Suisse ou en France, elle n’a pas eu à se battre pour les droits des femmes et beaucoup considèrent, à tort, comme acquis les droits que leurs mères ou grand-mères ont arraché au prix de combats acharnés. Mais il serait faux d’en faire une généralité et n’oublions pas que dans les années soixante ou soixante-dix tout le monde ne militait pas pour l’égalité. Cet aspect est à lier à votre question précédente car je pense également que politiquement tout est plus flou aujourd’hui. La gauche et la droite ne véhiculent plus de valeurs claires.

Les ennemis des droits égalitaires ne sont plus si faciles à identifier. Il ne s’agit plus de faire changer une loi mais de faire évoluer les mentalités.

SD :  Quels sont aujourd’hui les sujets de société qui vous agitent au point d’en faire le sujet d’un nouveau roman ?

AJ : J’aime avant tout m’appuyer sur mes personnages et les liens qui les unissent. L’amour, l’amitié, ou même la haine dans Avec les chiens. J’avoue pourtant que suite à mon constat inquiétant de notre société dans Légère et court-vêtue, j’aimerais pousser ma réflexion sur des questionnements concernant notre avenir à moyen terme. Comment allons-nous gérer l’hyper-connectivité ? Qu’allons-nous faire des possibilités que va nous offrir le transhumanisme ? Quelle place ce fameux 1% qui possède la moitié des richesses de la planète va-t-elle laisser aux futurs trois milliards « d’inutiles » que leur projet induit ? Comment allons-nous gérer le désastre écologique en cours ?

SD :  Plusieurs voix, comme celle de Sébastien Meier, se sont élevées dans le milieu de la littérature romande pour protester contre les mauvaises conditions de traitement des auteurs. La vie d’écrivain est-elle désirable ?

AJ : Le problème en Suisse est le bassin de population francophone. Nous sommes moins de deux millions. Trente-cinq fois moins nombreux qu’en France. Avec la même couverture médiatique, le même engouement populaire et la même reconnaissance des pairs, on vend toujours trente-cinq fois moins de livres. Un auteur qui vend ici cinq mille exemplaires est connu comme le Français qui en vend cent mille.

De fait, les droits d’auteur pour un succès suisse ressemblent à un défraiement pour vos déplacements, journées de signatures et temps passé au jeu de la promotion. Ecrire en Suisse pour gagner de l’argent équivaut à cocher un billet de Swissloto. Je comprends que des auteurs s’insurgent mais je crains que rien ne changera. Je ne vois, moi-même, pas de solution.

Alors la vie d’écrivain est-elle désirable ? Je répondrais non car elle nécessite trop de sacrifices en temps et en énergie, mais à une exception, pourtant. Si comme moi vous trouvez dans le simple fait d’écrire suffisamment de joie et de plaisir pour ne rien attendre de plus au moment de la publication du livre, alors cela vaut la peine. Et il y a parfois des cadeaux. Des retours de lecteurs touchants, des Prix littéraires, de belles rencontres.

Sacha Després, septembre 2017