Virginie Hours – juillet 2020
« Il est 6h00 du matin. Je remplis ma gourde du thé de course qu’offre la cabane et je regarde les jolies couleurs qui s’accrochent aux pointes des sommets qui nous entourent. Par chance, l’air est sec. Avec un peu d’appréhension, je fixe les crampons à mes chaussures et j’attache la corde à mon baudrier. Nous sommes une cordée de 4, mon mari en tête, deux adolescentes de 19 et 17 ans entre nous et moi en dernier…
Nous ne sommes pas seuls. Il a neigé la veille, le soleil est promis et nous sommes presqu’une soixantaine à nous succéder sur la trace. Certains sont partis de Zinal tôt le matin et font l’ascension d’une traite ! Mais pour nous, il s’agit à présent de prendre un rythme régulier et de veiller à marcher avec la corde tendue.
L’ascension ne présente effectivement pas de difficultés techniques mais il est nécessaire de respecter certaines règles. Tout d’abord, partir avec un guide ou quelqu’un qui s’y connait car même si le trajet est tracé, il s’agit de rester encordés et de guetter les crevasses. Ensuite, j’avais oublié qu’au-dessus de 3500 mètres, l’air se raréfie… et le souffle le sent ! Le Bishorn tient également son nom des rafales de vent qui balayent le sommet et peuvent en insécuriser certains. La fin est sympathique car nous devons utiliser le piolet pour gravir les derniers mètres avant d’arriver au sommet.
Et quand je suis là-haut… Je ne pense pas à la « conquête de l’inutile » de Werner Herzog mais à celle du beau ! Tout autour de moi se succèdent des dents et des pics enneigés ; le silence m’entoure et je ressens une forme de plénitude. Moment de bien-être et de satisfaction personnelle… avant de songer à la descente.
Dernier départ de cordées pour l’ascension du Bishorn
Le Bishorn, un sommet pas si facile
Le Bishorn qui culmine à 4 153 mètres clôt au nord la «grande couronne, cette série de cinq 4 000 mythiques du fond du val d’Anniviers. La relative facilitée de sa voie lui a valu le surnom de « 4 000 des dames », d’où un intérêt particulier pour ce sommet. Mais mérite-t-il finalement son appellation ? Le défi est lancé, l’alternative étant de s’arrêter à la cabane de Tracuit, point de départ de l’ascension, et d’y passer la nuit… Une expérience étonnante !
Ce surnom de « 4 000 des dames » étonne et interpelle… Peut-être est-il dû à Elizabeth Burnaby qui le 6 mai 1884, le gravit la première accompagnée des guides Josef Imboden et Peter Sarbach. Pourtant, ce n’était pas une néophyte puisque cette anglaise qui découvrit la montagne en 1881 à Chamonix, gravit les grandes Jorasses et deux fois le Mont Blanc en 1882. C’est elle qui a d’ailleurs donné son nom à la pointe Burnaby qui à 4 135 m, se trouve au nord-est du Bishorn.
Si l’ascension vous tente, il faut compter deux jours pour gravir le Bishorn et 2 500 mètres de dénivelé depuis Zinal : 1 600 m pour rejoindre la cabane de Tracuit la veille de la course et 900 m pour atteindre le sommet. Et s’il est vrai que la voie normale du Bishorn ne présente pas de difficulté technique majeure, l’ascension demande de l’endurance et les crevasses du glacier de Tourtemagne (Turtmannglescher ) sont dangereuses.
Et si on dormait à 3 256 m ?
Une alternative à celles et ceux qui rêvent d’ambiance haute montagne sans oser taquiner les cimes : la cabane de Tracuit.
Point de départ pour la voie Normale (et la plus facile) qui conduit au sommet du Bishorn, elle est accessible depuis Zinal en suivant un chemin qui est bien tracé mais qui est exigeant puisqu’il faut compter 1 600 mètres de dénivelé, un finish dans les pierres et un passage délicat que vous réussirez à gravir en vous aidant de la chaine en fer. Mais l’arrivée avec la vue surprise sur le glacier de Tourtemagne est magique. Comme moi, vous pousserez certainement un « whoua » d’admiration en débouchant du goulot qui conduit à la cabane. Les bons marcheurs atteignent le refuge en 4-5 h.
Si vous le pouvez, restez dormir dans la cabane de Tracuit même si vous n’envisagez pas d’ascension.
Datant de 1929, l’ancienne cabane a été avantageusement remplacée par une nouvelle construction high tech en 2013. Le refuge est moderne et confortable. Il propose des cabines de 4 lits superposés et des dortoirs de 12 places équipés de couettes confortables (apportez votre taie d’oreiller et un sac à viande). Covid oblige, la capacité d’accueil a été réduite de moitié, soit 60 personnes maximum… Dormir à 3 256 mètres d’altitude procure de belles sensations et donne un avant-goût de la haute montagne, surtout après avoir écouté ses voisins de table raconter leurs souvenirs de cordées et se préparer pour leur ascension du lendemain. En fonction du sommet, ils se lèveront à 2h (pour le Weisshorn) ou à 5h du matin (pour le Bishorn). Si vous avez le courage, levez-vous à la même heure pour assister aux préparatifs de départ et les regarder partir avec une pointe d’envie.
Par ailleurs, le réfectoire donne sur une grande baie vitrée ouverte sur la grande couronne et apparaît comme la plus belle des salles à manger. On y prend le petit déjeuner en contemplant les sommets enneigés de l’OberGabelhorn (4 063 m), la Dent Blanche (4 357 m) ou le Zinalrothorn (4 221 m). Féérique. Cette vue à elle seule vaut d’y passer la nuit…