Sonia Jebsen – octobre 2024

Forte de ses 17 années dans l’atelier de restauration Héritier, Anita Durand a pris ses quartiers aux Acacias en février 2024. Le lieu a des airs de clinique d’esthétique blanche immaculée du sol au plafond. Le mobilier et les outils y trouvent une place « calculée ». Les toiles sont rangées avec soin attendant l’intervention de l’experte. Au final, il règne une ambiance de travail solitaire « par définition », adoucie par la lumière naturelle et changeante qui s’y diffuse.

Pour en savoir plus sur ce métier de niche essentiel à la conservation des oeuvres héritées ou acquises, découvrez notre entretien avec Anita Durand.

Sonia Jebsen : Avez-vous grandi dans un milieu artistique ?

Anita Durand : Mes parents sont peintres versés dans l’abstraction, abstraction géométrique et mathématique v/s collage et expression libre. Ils se partageaient un atelier repeint en blanc du sol au plafond et aménagé au sous-sol du pavillon familial. Je me souviens de la table sur laquelle je faisais surtout des copies de dessins.

Sonia Jebsen : Quel chemin avez-vous emprunté menant au métier de restauratrice/conservatrice d’oeuvres d’art ?

Anita Durand : Le hasard ? A 18 ans, j’ai passé mon baccalauréat sans avoir d’idée précise sur une voie professionnelle. Mon premier choix était l’ethnologie urbaine. Mais un reportage télé sur une campagne de restauration au musée Marmottant, a provoqué un déclic : allier la tête et les mains, l’art et la chimie, la minutie et la discrétion, etc… Après mûre réflexion, et la recherche des filières, j’ai débuté ma formation trois ans plus tard.

Curieuse de nature, autodidacte par choix, Sonia partage  sa passion pour l’art et les artistes situés en Suisse et en France voisine. Vous la rencontrerez sans doute déambulant dans des galeries, des musées, des espaces d’exposition ou des ateliers d’artistes, appareil de photo en main. Son but : diffuser les informations  par l’écriture, l’image et créer du lien entre les différents acteurs du monde de l’art de la région lémanique. 

Sonia Jebsen: Vous avez intégré l’Ecole Supérieure d’Art d’Avignon. En quoi consistait le cursus à l’époque ?

Anita Durand : Cet établissement est une des rares filiales en France qui délivre un diplôme d’état versus les écoles privées. Sur les cinq années de formation, la première se déroulait avec les futurs plasticiens (de quoi découvrir ou d’approfondir la gravure, le dessin de modèle vivant, à la photographie argentique, à la peinture).  Les quatre années suivantes étaient spécifiques au métier (histoire de l’art, chimie, histoire des techniques en restauration, copie de tableaux en musée,..) ponctuées de stage.

La définition du métier de restauration/conservation par Anita Durand :

Le terme de conservateur-restaurateur définit notre panel de compétences : la conservation en premier lieu, afin de préserver l’état matériel et actuel d’une œuvre, de le stabiliser ; mais avant cela, de garantir en amont, l’intégrité d’un artefact grâce à la conservation préventive, enfin la restauration qui suppose d’intervenir sur l’œuvre afin d’améliorer son aspect esthétique.

Le terme de restaurateur, sauf erreur de ma part, est juste une contraction passée dans le langage courant.

Sonia Jebsen : Décrivez-nous votre approche face à une oeuvre à restaurer ?

Anita Durand : Ma démarche n’est pas influencée par la valeur de l’objet. J’ai la même exigence de résultat quelle que soit son prix et la période de réalisation. Mon attention se porte sur les matériaux employés par l’artiste.  Je dois d’abord évaluer l’urgence de mon intervention puis envisager les réactions du support afin de choisir le ou les traitements adéquats. Chaque oeuvre a son histoire, sa nature et ses déboires.

Le droit à l’erreur n’étant pas une option, je fais des essais et des recherches, je reprends mes notes ou mes lectures passées. Mon cerveau se met en ébullition afin de trouver LA solution pour les cas inédits, au point que certaines nuits sont  perturbées par l’obsession du résultat.

Sonia Jebsen : Quels courants artistiques et artistes ont votre préférence ?

Anita Durand : Depuis toujours, je cultive l’éclectisme : des primitifs italiens, à Poliakoff en passant par Zurbaran, mes attirances sont plurielles : Ellsworth Kelly à Cy Twombly ou Prune Nourry. Je réagis à l’émotion esthétique autant qu’à celle du discours, poétique ou politique. Mon « non choix » n’est pas une paresse intellectuelle mais l’ouverture sur des courants disparates, des stimulations et des passerelles excitantes.

Sonia Jebsen : Citez-nous les qualités essentielles pour exercer votre métier ?

Anita Durand : La parcimonie, la curiosité, l’imagination, la patience, la rigueur, et l’auto-critique.

Atelier AnD

Anita Durand 

Sonia Jebsen : Parlons technique concernant vos outils et produits utilisés durant vos interventions sur l’oeuvre.

Anita Durand : Aux outils traditionnels tels que les pinceaux ou scalpels, pincettes ou micro spatules viennent s’ajouter des microscopes portatifs et une variété de types d’éclairages. La panoplie inclut aussi souvent des outils détournés de leur corps de métier originel ou de leur fonction initiale, et surtout des instruments inventés, ou modifiés pour nos besoins propres quelques fois pour UNE restauration. Notre métier exige de l’inventivité en terme de moyen car rares sont les produits spécifiquement développés pour notre activité de niche.

On ne peut pas ici aborder tous les aspects techniques de notre métier et son évolution, mais par exemple, aux adhésifs et solvants traditionnellement utilisés viennent se greffer voire se substituer de nouvelles générations de matériaux moins polluants, plus verts, mais aussi des nanos technologies.

Sonia Jebsen : Vous intervenez essentiellement sur des oeuvres peintes. Toutefois le sujet de votre mémoire de fin d’études portait sur la restauration d’oeuvres éphémères et immatérielles. Expliquez-nous vos motivations.

Anita Durand : A l’époque, nous n’étions pas nombreux à défendre cette notion. A tel point que mes professeurs ont tenté de me dissuader. Mais j’ai obtenu  l’appui sans faille du directeur de l’école, et des nombreux acteurs de l’art rencontrés lors de mes recherches. Au-delà du défi intellectuel,  j’ai voulu répondre à une frustration personnelle : lire sur les cartels des musées le mot performance au sujet de reliques de performances. Une performance, une œuvre éphémère se vit à un instant T, sur une durée circonscrite, là réside l’œuvre, et non pas dans la relique, le document photo ou vidéo de la séquence. Alors pourquoi ne pas ré-instaurer l’œuvre éphémère ? c’est le terme et la nouvelle discipline que j’ai introduite en guise de restauration d’œuvres impermanentes avec toutes les conditions, les précautions, les (im)possibilités que cela impliquerait. Le mémoire Perpétuer l’instant, est en ligne, avis aux curieux.

Sonia Jebsen : Avez-vous eu la possibilité d’illustrer concrètement votre mémoire ?

Anita Durand : Dans le cadre de la recherche, des protocoles ont été rédigés et une œuvre semi-immatérielle éphémère a été présentée le jour de mon diplôme. Le sujet étant novateur il y a presque 20 ans, je l’ai surtout défendu à travers des conférences et des articles. Depuis l’intérêt est grandissant pour cette thématique au point même que l’association suisse des restaurateurs a son pôle dédié à la recherche sur les médias et les arts performatifs.