Virginie Hours

C’est l’évènement du mois d’Octobre ! Après « Kirikou », « Princes et princesses » ou « Azur et Asmar », voici « Dilili à Paris » le nouveau film d’animation de Michel Ocelot qui, cette fois-ci, nous entraîne dans le Paris de la belle Epoque. Sur nos écrans à partir du 10/10.

Michel Ocelot a su nous charmer tout au long de ses différentes oeuvres cinématographiques, à la fois moments de poésie et contes des temps modernes : Kirikou, Princes et princesses, Azur et Asmar, autant de petits bijoux visuels innovants. Cette fois-ci, Michel Ocelot nous transporte dans le Paris du début du XXème siècles et nous fait découvrir une capitale en pleine essor à travers les yeux de Dilili, une petite fille à la diction parfaite venue ici pour se produire dans un faux village canaque à l’exposition universelle de Paris. Avec Orel un gentil coursier mélomane qui la prend d’affection, elle part à la découverte de ses habitants tout en essayant de résoudre le mystère des enlèvements de petites filles par une secte inconnue nommée les Mâles-Maîtres.

Et c’est là que Michel Ocelot peut nous perdre, nous donnant le sentiment de courir deux lièvres à la fois : montrer ce Paris des découvertes scientifiques et artistiques en multipliant les rencontres de Dilili et les silhouettes reconnaissables des artistes et politiciens de l’époque (Oscar Wilde, Valloton, Chocolat, Sarah Bernhardt… Un vrai jeu des devinettes, certainement plus accessibles aux adultes ) ; et dénoncer la maltraitance des femmes et la perte de leurs droits par des hommes inquiets ou jaloux. Michel Ocelot semble partir de l’idée que les femmes de cette époque ont déjà tellement de droits et de pouvoir qu’elles font peur à une certaine catégorie d’hommes. Et pour dénoncer l’avilissement de la femme, il prend des images radicales dans leur symbolisme et qui peuvent choquer : femmes toute revêtues de noir et qui avancent à quatre pattes.

Son œuvre est donc déconcertante puisqu’on y retrouve l’éclat visuel et la poésie dont il est le maître en nous faisant découvrir un Paris si foisonnant qu’on s’y perdrait… tout en nous engageant sur le thème de la protection des droits acquis des femmes alors que le combat actuel semble surtout se focaliser sur l’extension de ces droits.

Il faut souhaiter que chaque spectateur, enfant ou adulte, trouve sa propre grille de lecture. Mais une oeuvre à voir tellement elle est visuellement magnifique et porteuse de sens.

Entretien avec Michel Ocelot :

Virginie Hours : Vos films se caractérisent par une débauche de couleurs. D’où cela vient-il ?

Michel Ocelot : Nous avons accès à toutes les couleurs, je les utilise. La question à poser à bien des gens est : il y a tant de couleurs, comment se fait-il que vous ne les utilisiez pas ?

VH : Pourquoi avoir choisi comme héroïne une petite fille venant de Nouvelle Calédonie? Faites-vous écho (bien qu’il ait parlé après vous) à Emmanuel Macron qui déclare que « la France sans la Nouvelle Calédonie n’est pas la France » ?

MO: Les actualités du jour n’interviennent pas dans mon histoire, qui est établie depuis 8 ans…
J’ai inventée une fillette kanake pour avoir un peu de couleur dans les personnages, et ces villages indigènes reconstitués étaient populaires dans toute l’Europe à cette époque.

VH : Vous nous offrez une superbe galerie de personnages célèbres (Picasso, Oscar Wilde, Louise Michel, Chocolat). N’avez-vous pas peur de perdre le spectateur ? Et ne vous adressez-vous pas plus aux adultes qu’aux enfants ?

MO : Que le spectateur se perde dans le talent ! C’est intéressant de savoir qu’il n’y a pas que deux ou trois génies —ça pullule. Et connaitre tous les gens qui donnent des indices à Dilili n’est pas nécessaire à la compréhension du récit.
Ensuite,  je n’ai JAMAIS fait de film pour les enfants ! C’est pour cela qu’ils aiment mes films, qui ne traitent personne en bébé. Les enfants comme les adultes ne connaissent guère ces multiples personnages historiques —mais ils en sauront plus en sortant de la projection…

VH : Vous semblez avoir choisi de nous montrer une France du début du XXème siècle où les femmes ont assez de droits et de pouvoir pour faire peur aux hommes… Or, on sait que ce n’était pas le cas (Marie Curie a obtenu le prix Nobel avec son mari car celui-ci a insisté pour qu’on ne la considère pas comme son assistante, par exemple). Ne craignez-vous pas de donner une image faussée de la réalité de l’époque ?

MO : Je sais que je ne peux, en 1h30 de conte de fée, rendre compte d’une telle époque. La présence des femmes que je montre évoque tout de même une nouveauté historique : l’époque autour de 1900 voit l’émergence des femmes, qui va se poursuivre efficacement pendant le 20e siècle, et peut-être reculer au 21e siècle.

VH : Aujourd’hui, la tendance est à militer pour que les femmes aient plus de pouvoir. Dans votre film, elles doivent se battre pour ne pas qu’on les leur enlève. Pourquoi ce choix ?

MO : Aujourd’hui on milite pour que les femmes aient plus de pouvoir, et on milite (ce n’est pas le même “on”) pour que les femmes n’aient pas de pouvoir et ne se montrent pas. Ne nous endormons pas.

VH : L’image des femmes habillées tout en noir qui marchent à quatre pattes et sur lesquelles les hommes peuvent s’asseoir est très forte, voire dérangeante (pour mes filles adolescentes en tous cas). Ne pensez-vous pas heurter ou déconcerter les adultes et les enfants ?

MO : Les violences aux femmes et aux filles sont partout, y compris sous nos climats. Elles se passent en majorité dans le cercle familial. Dans le monde, le nombre de femmes et de filles tuées ordinairement dépasse de loin le nombre des morts par guerre. Toutes les trois secondes, une fille mineure est donnée en mariage. La litanie est infinie. Il faut prévenir les personnes et ne pas faire comme si on ne savait pas.

Mais il y a de bons côtés à l’Humanité ! Et j’offre quand même un conte de fée !

Dilili à Paris

de Michel Ocelot

Date de sortie en Suisse romande et en France : 10 Octobre 2018