Virginie Hours
« Le sacrement de la tendresse », le documentaire de la journaliste Frédérique Bedos, est la conséquence d’une première rencontre : celle qu’elle a faite avec Jean Vanier, le fondateur de l’Arche.
Ce canadien né à Genève il y a 90 ans a eu l’intuition que les personnes handicapées avaient plus à apporter que ce que l’on pensait. « Ce qui les intéresse, c’est la relation. Ils sont assoiffés de relations » explique cet ancien militaire. Il décide alors d’accueillir dans une petite maison qu’il achète en Picardie (France) Philippe et Raphaël, tous deux porteurs d’un handicap mental. Pour lui, c’est une révélation aussi bien sur eux que sur lui-même. « J’ai découvert que j’avais besoin de rigoler, d’être bien, de faire des erreurs mais de vivre aussi. » C’est le début d’une belle aventure qui aboutira à la création de l’Arche, ce lieu qui réunit à la fois les personnes handicapées et des assistants venus de partout mais ouverts à une vie communautaire.
C’est cette histoire que souhaite nous raconter la réalisatrice qui visiblement a été marquée par sa propre rencontre avec Jean Vanier. C’est donc avec une caméra pleine de bienveillance et une forme de fascination qu’elle nous conte son histoire, de ses débuts dans la marine à ses multiples voyages dans les différentes Arches. Fascinée par la personne (mais qui ne le serait pas ?), par son message et par l’humanité des personnes handicapées qu’elle filme, elle s’attarde longuement dans l’Arche de Calcutta et de Palestine, comme pour souligner combien ces lieux ouverts aux différences peuvent aider chacun à accepter l’autre quelques soient sa confession ou ses réalités politiques. Car à travers les personnes handicapées, c’est soi-même que l’on découvre et peut-être plus encore. « Le cœur de l’Arche, c’est la tendresse, c’est même le sacrement de la tendresse » éclaire Jean Vanier à un moment du film. Ce documentaire est à voir pour soi, en famille, avec ses adolescents notamment afin de les aider à lutter contre ce « culte de la normalité » que dénonce Jean Vanier qui nous appelle à « être libre ».
Un très beau moment qui traine peut-être un peu en longueur sur la fin car visiblement, Frédérique Bedos a du mal à quitter ce grand bonhomme…
L’Arche aujourd’hui…
L’Arche a été fondée en 1964 à Trosly-Breuil dans le département de l’Oise (France). En 2018, elle est présente sur tous les continents, dans 37 pays. La fédération internationale de L’Arche regroupe 152 communautés (3 en Suisse) et plus de 10 000 membres.
En Suisse, elle est présente à Versoix, Fribourg et Im Nauen.
Entretien avec Maxime Germain, directeur de la Corolle, l’Arche située à Versoix.
Virginie Hours : Comment êtes-vous arrivé à l’Arche ?
Maxime Germain : Pendant mon master en management, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a proposé de fonder une Arche qui accueillait surtout des personnes cérébrolésés, c’est à dire qui avaient eu une lésion cérébrale suite à un AVC ou un traumatisme crânien et en avaient gardé des séquelles. J’ai été transformé et grandi par ce que j’y ai vécu. C’était il y a 10 ans.
VH : Comment caractériseriez vous l’Arche ?
MG : C’est un projet révolutionnaire qui retourne la logique des autres structures qui veut qu’on « aide » les personnes handicapées. Notre mission est de changer le monde en faisant connaître le talent des personnes handicapées qui vivent avec une déficience intellectuelle. C’est un peu toute l’histoire du documentaire consacré à Jean Vanier.
VH : Que pouvez-vous nous dire sur lui ?
MG : Il est né à Genève dans une grande famille canadienne et son père, qui fut le gouverneur général du Canada, fréquentait les « grands de ce monde » comme Robert Schuman, un des pères de l’Europe ou le philosophe Jacques Maritain avec l’ambition de changer le monde avec ces savants. Au contraire, toute l’espérance de vie de Jean Vanier a été de changer le monde avec les non-savants et les non-sachants qui sont des personnes handicapées mais qui ont une force et un talent, des dons incroyables pour penser ensemble la question du vivre ensemble. Et c’est cette mission qui caractérise l’Arche : nous voulons rendre notre société plus humaine, plus fraternelle, plus juste, nous intéresser aux questions d’écologie, de justice sociale mais pas en nous occupant des « pauvres petits handicapés » mais avec les personnes handicapées qui ont des qualités d’engagement, d’émerveillement, d’accueil.
Récemment, on me racontait l’histoire d’une femme qui après avoir fait dix ans de prison était accueillie dans une Arche au Québec pour sa période probatoire ; à son arrivée, une personne trisomique l’a serrée dans ses bras et lui a dit « je t’aime ». Cette dame a fondu en larmes car personne ne lui avait dit ces mots durant toutes ses années d’emprisonnement. Depuis, elle est devenue bénévole. Les personnes handicapées ont ce talent d’être dans l’être, de savoir être. Elles questionnent tout de suite, « est-ce que tu veux être mon ami ? Est-ce que tu veux prendre un café avec moi ? » Elles ne s’occupent pas de savoir si son interlocuteur a un titre d’éducateur ou de psychologue ou s’il est diplômé. Elles vous rappellent les valeurs essentielles de l’être alors que notre société crève de solitude. Rappelons-nous par exemple qu’à Paris, près d’une personne sur deux vit seule.
© Le sacrement de la tendresse
VH : Quelle est la particularité de l’Arche par rapport aux autres institutions Genevoises comme La Gradelle ou La Combe ?
MG : Nous faisons très clairement partis des institutions du bassin genevois. Nous sommes sur les mêmes référentiels et répondons aux mêmes exigences de qualité, de prestation d’accompagnement que Claire-Bois ou la fondation Ensemble avec les mêmes normes ISO à respecter. L’originalité, c’est ce projet qui n’entend pas seulement s’occuper des personnes handicapées mais « faire avec elles » une société fraternelle. C’est la subtilité du projet social.
VH : Est-ce que les conditions de vie ont évolué depuis ces dernières années ?
MG : Il y a une dizaine d’année, on avait encore des professionnels qui vivaient sur place et partageaient la vie dans les foyers mais la société évolue. Certains se sont mariés, sont partis vivre à l’extérieur. Moins de gens vivent sur place sauf des jeunes en volontariat et quelques personnes engagées dans l’association. Nous sommes sur la même gouvernance, le même modèle que l’Arche de Trosly (ndlr : la première Arche fondée par Jean Vanier) avec plutôt des jeunes qui viennent vivre en foyer pendant un an
VH : Quel message souhaiteriez-vous transmettre à des jeunes qui aimeraient vous rejoindre ?
MG : Je les encourage fortement car c’est une invitation à faire une expérience haute en couleur et qui donne l’opportunité de changer de regard sur le handicap, la maladie, le manque, comme un chemin vers une croissance humaine. D’ailleurs, l’Arche en France est reconnue comme un des lieux les plus professionnalisant puisqu’elle accueille chaque année trois cent jeunes en service civil. En Suisse, chaque Arche accueille en moyenne entre douze et quinze jeunes/an, en stage, en apprentissage ou en service civil.
VH : Que pensez-vous du titre donné au documentaire, « le sacrement de la tendresse » ?
MG : Certes, le terme « sacrement » vient du vocabulaire catholique mais l’Arche est ouverte à tous ; d’ailleurs, l’Arche à la Corolle est une communauté œcuménique… Mais le mot « tendresse » est fabuleux car c’est ce qui fait souvent la différence dans nos vies, dans les moments difficiles. Les personnes handicapées ont une telle force de savoir-être qu’elles ne sont pas gênées par le savoir-faire, la compétence, la tyrannie de la norme, faire carrière, gagner de l’argent… La tendresse leur va très bien.
Le sacrement de la tendresse, de Frédérique Bedos
Date de sortie en France : 9 Janvier 2019
Date de sortie en Suisse romande : le 13 Février 2019 au Cinélux à Genève, le 18 février au Cinémotion à Fribourg et le 19 mai au Rex de Aubonne
Le 12 Février à 18h30, projection spéciale au Cinélux de Genève en présence du directeur de l’Arche de Versoix.