Sonia Jebsen – juin 2021
L’univers de l’art, ce n’est pas uniquement les artistes, les expositions, les foires, les galeries… mais également d’autres métiers peu mis en lumière tels que les restaurateurs d’oeuvres d’art. La plupart d’entre eux travaillent discrètement, pour l’amour de leur métier. Ils sont pourtant essentiels à la préservation du patrimoine artistique public et privé. Philippe Kunz nous ouvre les portes de son atelier à Genève, et nous parle sans langue de bois de ce métier passionnant et plein de défis.
Sonia Jebsen : Pourquoi cette voie dans la restauration d’art ?
Philippe Kunz : Mon attirance première allait vers des études aux Beaux-Arts (peinture). Mais rapidement, j’ai compris que pour vivre en tant qu’artiste, il faudrait savoir se vendre. L’art , selon moi, est d’abord un don renforcé par beaucoup de travail. Bien entendu, l’artiste doit vendre pour vivre, mais c’est souvent trop aléatoire. L’intérêt certain que je porte aux vieilles techniques picturales m’a poussé vers la restauration de tableaux.
Sonia Jebsen : Racontez-nous votre parcours depuis vos études jusqu’à l’installation à Genève.
Philippe Kunz : Aucune formation/école n’existait jusqu’au début des années 80. J’ai intégré les Beaux-Arts à Bâle. A cette époque, les enseignants n’étaient pas des peintres, mais des théoriciens. Frustré par un enseignement trop cérébral, j’ai quitté ces études au bout d’un an. et j’ai entamé une série de stages pour apprendre ce métier concrètement. “La restauration, c’est rien à fond, mais un peu de tout”, résume Philippe. Les mandats sont souvent de courte durée (moins de six mois), comme au Costa Rica dans un théâtre style fin 19e, ou au Mexique. A mon retour en Suisse, j’ai travaillé comme chef de chantier pour une entreprise valaisanne (La Tour du Molard, l’église de Bernex). En 2001, c’est la rencontre déterminante avec la restauratrice Cecilie Gagnebin. Grâce à elle, mon intérêt pour la restauration en peinture s’affirme et je m’installe à Genève.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Sonia Jebsen : Qui sont vos clients, sur quels styles de peinture travaillez-vous ?
Philippe Kunz : Sur le marché, les privés possèdent majoritairement des œuvres du XIXe ou du XXè siècles. Les pièces plus anciennes appartiennent à des collectionneurs, des marchands car elles sont l’objet de négoce. Je vis grâce aux liens que j’entretiens avec de grands collectionneurs à Genève et ailleurs. Les privés font appel à mes services suite à des héritages, des successions, des accidents (inondation, incendie) sur les œuvres assurées. Parfois les musées font appel à moi, mais en général, il existe un conservateur/restaurateur à l’interne de ces institutions.
Sonia Jebsen : Avez-vous rencontré des challenges avec certaines œuvres ?
Philippe Kunz : Tout à fait, ce n’est pas toujours là où l’on pense qu’est le problème. C’est en travaillant sur la peinture que l’on découvre parfois des complications insoupçonnées. Le devis de départ peut parfois ne pas correspondre aux travaux finaux. Les tableaux sur lesquels je travaille sont des pièces uniques et exigent des solutions appropriées.
Sonia Jebsen : Quelles sont les qualités essentielles pour exercer votre métier ? En tant qu’amateur d’art, quelles sont vos préférences ?
Philippe Kunz : Il ne faut pas être daltonien, être agile, patient, et avoir un bon sens des couleurs et des matériaux. Aussi un don de l’observation.
Ce qui m’a fasciné au départ, c’est la peinture des primitifs italiens, la Renaissance italienne, hollandaise, allemande pour les détails, la qualité picturale et la pérennité. Après tant de siècles, il est encore possible d’admirer les oeuvres de Vinci, Botticelli, Cranach, van Eyck, Dürer… C’est en apprenant qu’on devient forgeron, et depuis toutes les périodes allant de l’Impressionnisme aux situationnistes, pop art, post impressionnisme américain. Je suis fan de Cézanne, Max Ernst, Modigliani, Sam Francis. Quant à l’art contemporain, il y a à boire et à manger. Pour cette raison, la restauration dans ce domaine constitue un monde et un milieu à part.
Sonia Jebsen : Quelle a été l’évolution de votre profession depuis 30 ans ?
Philippe Kunz : Considérable. Actuellement, les études vont jusqu’au doctorat en Allemagne, en Angleterre ou aux Etats-Unis. Il s’agit de travaux scientifiques très poussés rarement applicables dans le domaine privé et de ce fait réservés au monde muséal. Il y a aussi un autre phénomène dans ce métier : plus un tableau est reconnu et a de la valeur financière, plus le chef d’oeuvre est normalement bien conservé. Donc, les œuvres accessibles aux restaurateurs travaillant dans le privé sont parfois de peu de valeur mais de grandes difficultés techniques. Mon travail est empirique, à chaque fois je dois trouver la solution adéquate pour remettre une œuvre en l’état.
Sonia Jebsen : En conclusion, avez-vous refusé de restaurer un tableau ?
Philippe Kunz : Oui, bien sûr ! Rarement mais la raison principale est le manque de moyens financiers du côté client. J’ai mis du temps à décliner certaines offres. Au début je prenais tout et rien par peur du manque. J’ai travaillé au rabais ! Erreur de jeunesse !