Oeuvre « Renversement », Sève Favre, Fondation WRP ©Mez Photographie
Sonia Jebsen – septembre 2024
La Fondation WRP accueille en ses murs les oeuvres de l’artiste multidisciplinaire Sève Favre. Toiles tridimensionnelles, installation « renversante » et art digital invitent les visiteurs à l’interactivité. Le panneau « Prière de toucher » y aurait trouvé sa place.
Intitulée « Renversement : de l’abîme à la délicatesse », cette exposition multisensorielle soulève de multiples sujets tels que la valeur d’une oeuvre, sa finitude, les frontières « établies » entre l’art et le public, le recyclage des matériaux, etc.
Architecture, urbanisme et design sont les fils directeurs de la programmation des expositions à la Fondation WRP. Le travail de Sève Favre en est la preuve évidente. Son processus créatif intègre la notion de construction/destruction, l’utilisation de matériaux issus du bâtiment, des formes géométriques (cubes, lignes droites). Sans oublier les oeuvres murales aux airs de maquettes d’architecture suspendues.
Curieuse de nature, autodidacte par choix, Sonia partage sa passion pour l’art et les artistes situés en Suisse et en France voisine. Vous la rencontrerez sans doute déambulant dans des galeries, des musées, des espaces d’exposition ou des ateliers d’artistes, appareil de photo en main. Son but : diffuser les informations par l’écriture, l’image et créer du lien entre les différents acteurs du monde de l’art de la région lémanique.
Questionner les frontières face à l’oeuvre
Visuellement, les toiles sont un agencement harmonieux et équilibré entre lignes droites tendant vers le ciel rehaussées de cubes en papier. Le tout est délicatement coloré par l’utilisation de tons dilués apportant de la douceur. Au premier regard, sommes-nous devant des oeuvres abstraites ou figuratives ? Nous y avons vu des plans d’urbanisme vus du ciel, des damiers de jeux de société, une résonance avec les peintures du pionnier de l’abstraction Piet Mondrian. Nous sommes libres d’interprétation et plus encore…
Que ce soit dans les musées ou les galeries, seuls notre regard est autorisé à effleurer les oeuvres, les ressentir, les appréhender. La proposition de Sève Favre bouscule cet interdit en autorisant nos mains à jouer avec ses oeuvres et modifier leur plan initial. Effectivement, le toucher est le sens le plus représenté dans le cerveau laissant une empreinte durable dans notre mémoire et le premier développé chez le foetus.
Les bienfaits de l’art interactif
Libérée des peurs de détérioration ou de destruction de l’oeuvre initiale, l’artiste nous ouvre la porte d’une intimité avec sa création. L’interaction engendre de la méditation pour certains, des questionnements pour d’autres, et bien sûr une dimension « ludique » évidente. A ce sujet, Sève Favre se réfère à la réflexion du philosophe Emmanuel Kant : « L’art et la créativité sont les formes les plus évoluées du jeu ». L’art et le jeu se situent en dehors des urgences de la vie créant des espaces de liberté de penser et d’action essentiels.
La preuve s’incarne dans l’installation placée dans la salle principale et justement intitulée : Renversement. Construite comme un château de cartes, cette oeuvre en équilibre précaire ne demande qu’à s’écrouler, se modifier selon votre audace et votre engagement.
Les oeuvres phygitales
Sève Favre abolit les frontières figeant l’artiste dans une discipline en fusionnant la réalité matérielle de sa création et le virtuel par l’utilisation des outils digitaux. Des QR codes permettent de donner vie aux oeuvres et d’en créer de nouvelles. A cet effet, l’artiste a fait appel au mathématicien, Jim Délitroz, pour calculer le nombre des possibilités. Le résultat, toujours en évolution, est bluffant !
Bien que la virtualité fasse partie de son processus créatif depuis les débuts, l’artiste en connait aussi les faiblesses. Elle explique son intérêt pour le papier supposé fragile et pourtant… Ce matériau malléable est le plus approprié à l’interaction tactile. L’art digital, quant à lui, souffre de l’obsolescence programmée et nécessite des interventions répétées pour prolonger sa durée de vie.