©Estelle Juvet
Sonia Jebsen – octobre 2022
Dans une autre vie au Pays du Soleil levant, Véronique Mooser, art-thérapeute, aurait pu être samouraï, au sens étymologique du terme, i.e. « au service de ». Cette « guerrière » rayonnante et bienveillante trouve son bonheur dans la création et le service aux autres, notamment par la pratique du kintsugi. Cet art ancestral japonais ravive la beauté des objets brisés grâce à l’application méticuleuse d’or 24 carats sur la cicatrice de la réparation.
Son désir de « sauver le monde » la pousse vers un métier scientifique. Passionnée de mathématiques, de logique, curieuse du fonctionnement de la vie, elle obtient son diplôme de laborantine en chimie. La jeune femme tombe amoureuse du motocycliste de renom Eric Mooser auquel elle sera mariée durant 25 ans. Malheureusement, il souffre de myopathie et en décédera finalement, non sans avoir combattu activement pour les droits des handicapés.
Véronique, la « proche aidante », l’accompagne dans cette trépidante vie, oscillant entre inquiétude et bonheur. Son but : le laisser faire à sa guise, préserver sa relation de couple et ne pas devenir l’infirmière. Cette expérience magnifique et douloureuse lui apprend à poser ses limites.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
L’art peut-il sauver le monde ? Oui, répondrait sans doute Véronique Mooser. L’art prend de nombreuses formes pour cette femme pleine d’énergie : 15 ans de danse classique puis moderne, des cours de piano, de porcelaine. Finalement, la céramique prend le dessus et cela dure depuis presque 40 ans ! La créativité est une seconde nature, petite fille, elle s’adonnait au tricot et à la couture.
En 2002, une amie de fort bon conseil lui suggère de mettre à profit ses connaissances et ses talents avec l’art-thérapie. En 2003, Véronique se lance dans une formation de 4 années. Elle se souvient d’une période intense entre son emploi à 80 % dans une entreprise, les cours, les stages, la création. Elle était en route tous les week-ends !
En fusionnant ses deux moteurs de vie, l’accompagnement et la création, Véronique ouvre un premier cabinet d’art-thérapie en 2006, à Vevey. En 2016, elle établit son atelier à Oron. Dans ce nid douillet et lumineux, enfants et adultes en difficulté sont invités à libérer leurs émotions en pratiquant diverses activités créatives. Les raisons sont légion : burn out, dépression, harcèlement scolaire, divorce, deuil…
C’est là que le kintsugi réapparaît dans notre propos, ce nom signifiant « jointure en or » ou « réparation en or ». Si à cette époque, elle ne sait rien de cette technique, Véronique la pratique déjà en recollant ses céramiques avec de la feuille d’or. L’objet réparé trouve alors un intérêt à ses yeux par son imperfection. La beauté lisse n’exprime rien pour elle. Le lien est alors évident avec son parcours de combattante et ceux des êtres cassés par les drames, chahutés par la vie qui passent la porte de l’atelier.
Quelle est l’origine du kintsugi, Véronique ?
« Au Japon, il n’est pas considéré comme un art, mais est très en vogue poussé par l’engouement occidental. Cette pratique est issu du makié, un art qui consiste à laquer tout objet ou architecture puis à le recouvrir d’or, d’argent, de bronze et même de coquille d’oeuf… On compte peu d’adeptes car il ne correspond pas à la frénésie de la vie contemporaine. Le kintsugi s’enracine dans le wabi sabi, concept spirituel louant l’imperfection des choses abîmées par l’usure et les accidents. »
Expliquez-nous le processus du kintsugi et votre passion pour cet art ?
A mes yeux, le kintsugi est en lien avec les samouraïs. Son message : « Regarde, je porte les stigmates de mes combats et j’en suis fier ». Nos cicatrices sont nos marques de courage et bravoure peu importe l’issue des batailles. En Occident, la technique d’origine est délaissée au profit du « vite fait, bien fait ». Quelle erreur de croire que nous pouvons cicatriser émotionnellement du jour au lendemain !
Cette technique procède d’une polymérisation naturelle dans la première étape. Les enzymes contenues dans l’urushi (laque issue de la sève d’une arbre) réagissent à l’air et l’humidité, entraînant sa solidification. L’urushi est une matière noble, résistant à tous les aléas. Mélangée à de la farine et de l’eau, elle sert de colle pour assembler les morceaux. Après plusieurs manipulations de séchage, nettoyage, lissage, ponçage, c’est l’étape finale avec la pose de laque rouge sur les « cicatrices » recouvertes de poudre d’or 24 carats. Au bout de deux mois, l’objet réparé pourra être enfin utilisé !
« elle lui parle surtout de la fierté. De la fierté d’être une femme libre, une femme artiste, une femme sauvage qui sait se battre, une femme douce qui sache aimer, une femme forte, une femme-mère, une femme seule, une femme entière ». J’essaye. (citation extraite p.151 du livre « S’accepter, se réparer, sublimer ses fêlures »)