Sonia Jebsen – juillet 2021
“Le rêve est indispensable comme élément structurant de l’imaginaire collectif et individuel” Djibril Samb (L’interprétation des rêves en Afrique Noire, 1998).
La curatrice Kami Gahiga, inspirée par la citation de l’écrivain sénégalais, nous fait découvrir les œuvres de cinq artistes africains contemporains.
L’exposition à la galerie Fabienne Lévy nous transporte entre rêve et réalité, tout en poésie et esthétisme. Le rêve est-il une affaire individuelle ou collective ? Donnons-nous la même importance à nos songes en Occident et en Afrique ?
Les artistes, loin des clichés, nous parlent des problématiques intrinsèques au continent africain et plus largement à toute l’humanité.
Cinq artistes, cinq univers
La marocaine Amina Benbouchta (1963) suggère avec douceur et féminité l’univers domestique quotidien dans son pays. Les dessins au crayon et feutre noirs de crinolines suspendues sont-ils vraiment des atours ou plutôt des cages ? L’artiste décrit la condition des femmes dont les libertés sont restreintes dans de nombreux domaines. Regardons cette photo d’une mariée en robe blanche titrée “Qui êtes-vous madame ?”, vêtue telle une européenne. Pour exister et être considérée dans la société, doit-elle en passer par la case mariage ? La question est toujours d’actualité.
A l’étage, des objets lumineux flottent sur un lit de bois et de néons, en fond sonore une voix décrit en boucle l’acte sexuel imposé, froid, presque bestial. Le sujet de l’intimité du couple ne laisse pas de place au romantisme, pourtant le lit est aussi symbole de rêve et de désir.
M’barek Bouhchichi, noir marocain, s’attache à nous décrire sa terre, notre terre et le lien que nous entretenons avec elle. Ses installations et sculptures de céramique, d’acier, de cuivre ou de terre cuite parlent des clivages entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne. L’artiste loue la tradition céramique des métayers de Tamegroute avec une installation composée de huit pierres tombales : « Terre Verte ». Si les stèles symbolisent à la dureté du travail agricole et les inégalités entre communautés, les nuances de verts et de jaunes sont promesse de renouveau.
Plus loin, deux pièces géométriques posées à même le sol composent l’oeuvre « ⅕ ». Bouhchichi fait allusion à la distribution inégale des récoltes envers les métayers. Ces derniers représentent 4/5 de la population et ne bénéficient que de 1/5 du résultat de leur labeur.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Dans ses huiles sur toile, la nigériane Ekene Emeka-Maduka se met en scène et multiplie son image pour narrer l’expérience du rêve dans lequel nous perdons tout contrôle. Le monde onirique se nourrit-il de notre vécu ? Ou vivons-nous une expérience paranormale en lien avec des vies passées ? Dans l’œuvre « The tortoise and the birds », une fable de la Fontaine africaine, elle se peint endormie entourée de visions d’elle enfant. L’artiste questionne le passé hérité des peuples colonisés, les difficultés à se forger une identité propre.
Les découpages papier du kenyan Longinos Nagila s’inspirent du travail de Lucio Fontana. L’artiste s’intéresse à la relation entre formes et surfaces, entre ombre et lumière. Un travail méticuleux, précis, où portes ou fenêtres incisées s’alignent presque à l’identique.
En regardant “Entry without exit”, dont l’aspect change selon notre angle de vue, nous comprenons que nous pouvons en faire de même dans nos vies afin de ne pas rester figés dans des certitudes, nos idées préconçues…”Door of no return” adresse un sujet toujours brûlant d’actualité, la migration de masse avec ses espoirs et ses dangers.
Sans oublier l’artiste Alexis Peskine, issu d’un beau mélange Russie/Brésil/Afrique. C’est tout naturellement que la question identitaire s’impose dans sa créativité avec force et engagement. Il a rencontré très vite un vif succès grâce à ses portraits sur bois parsemés de clous dorés (acupeinture). Inspiré d’une tradition des Minkis Nkondi du bassin du Congo, il insuffle un pouvoir à ces figures photographiques. C’est l’histoire des populations africaines en perpétuel déplacement que nous narre l’artiste. Deux visages “Passage” et “Zo” nous hypnotisent, nous fixant d’un regard pacifique et fier. Que lire dans leurs yeux ? L’artiste se sert de pigments naturels tels que le café, la terre, la fleur d’hibiscus renforçant son message d’espoir.
L’art est le lien indestructible entre tous les peuples et toutes les civilisations. ~ Salvatore Dali