Sonia Jebsen – janvier 2022
L’Art nouveau s’affiche au Musée de Pully dans une mise en scène redonnant toute sa place à ce mouvement artistique souvent méconnu, et qualifié « d’art nouille » par certains détracteurs. Les oeuvres issues d’une collection privée suisse illustrent en beauté et légèreté la Belle Epoque (1880-1914) en Europe, période de l’histoire, épargnée par les conflits et porteuse de prospérité dans de nombreux domaines.
La Belle Epoque, le calme avant la tempête
La deuxième moitié du XIXe siècle est marquée par une croissance économique des grandes puissances européennes, accompagnée de nombreuses innovations technologiques sur fond de stabilité politique. Les capitales comme Paris, Londres, Vienne ou Berlin surfent sur la vague de la modernité grâce aux nouveaux moyens de transport tels que le chemin de fer, la motocyclette, et l’automobile ou le métropolitain. La vie culturelle et artistique s’épanouit, la photographie se perfectionne. C’est l’avénement du cinéma des frères Lumières, Georges Méliés, Charles Pathé ou Léon Gaumont !
Les grands magasins, véritables cathédrales de la consommation, font un tabac auprès de la gente féminine. Certains sont toujours d’actualité : Le Bon Marché, La Samaritaine, Le Printemps Haussmann et les Galeries Lafayette. Là se côtoient la classe sociale moyenne et la bourgeoisie, grande gagnante de cette époque bénie ! Des lieux de divertissement appelés cabarets (café-concert) ou music halls voient se croiser diverses couches de la société en toute liberté : Les Folies Bergère, le Chat Noir, le Moulin Rouge.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
La floraison de l’Art nouveau
Dans ce contexte de progrès et de prospérité, un mouvement artistique, baptisé Art nouveau, prend sa place dans tous les domaines créatifs : l’architecture, le design, les arts décoratifs, l’orfèvrerie, la mode et l’illustration, sujet de l’exposition. Il prend racine en Angleterre dans le mouvement « arts and crafts » et s’épanouit dans toute l’Europe sous des appellations différentes : Liberty, Jugendstil, Sécession, Modernismo.
En réaction à l’industrialisation massive et la mécanisation, les artistes affiliés créent un « art total » sans aucune discrimination entre les beaux-arts et les arts décoratifs, qu’ils souhaitent accessibles à toutes les classes sociales. Leur credo : l’oeuvre d’art doit être à la fois belle et fonctionnelle. En France, les Nabis (Pierre Bonnard, Maurice Denis), revendiquent leur appartenance à ce mouvement. Leurs oeuvres louent la nature et la femme, deux sujets idéalisés.
L’influence du japonisme est bien présente au travers de l’estampe et les motifs floraux et animaliers : nénuphars, algues, feuilles, orchidées, lys, libellules, papillons, oiseaux, serpents… décorent les scènes en toute bienveillance. La prédominance est donnée à la composition et l’harmonie des couleurs.
L’Art nouveau : l’art de la courbe
« On n’invente rien : toutes les formes sont déjà créées dans la nature. » Hector Guimard, créateur du Métro parisien.
Notons l’omniprésence de la nature dans l’exposition avec la ligne courbe, l’arabesque, la douceur des couleurs. Rien d’abrupt, de tranchant, d’agressif. Les arts floraux s’impriment sur des bandes de papiers peints égayant certaines sections du Musée. Un temps de pause devant les oeuvres du Nabi Paul Ranson (1861-1909) nous emmène dans des forêts aux couleurs irréelles et mystiques, ou dans le très moderne « Tigre dans les jungles » tout en ondulation, sans aucune perspective.
Chez l’artiste hongrois Alphonse Mucha (1860-1939), le végétal orne la représentation de la femme et se mue en bijoux naturels. Dans son affiche intitulée « JOB », réclame pour une marque de cigarettes, la femme est au centre, les yeux clos, dans un moment de plaisir. Sa longue chevelure envahit l’image accentuant l’impact érotique toujours d’actualité. Quid de ligne droite ? Les coloris sont tendres et délicats avec l’utilisation des pastels idéalisant le sujet représenté.
L’image de la femme dans l’Art nouveau
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le combat des femmes pour leurs libertés n’en est qu’à ses balbutiements d’une émancipation toujours d’actualité. Aristocrates et grandes bourgeoises sont cantonnées aux rôles d’épouse et de mère. Dans le même temps, les femmes de la classe moyenne accèdent à l’éducation (université) et intègrent le monde du travail (enseignement, journalisme). Parmi les artistes de l’Art nouveau, aucun nom de créatrice. Les artistes usent et abusent de l’image de la femme décrite tantôt comme une muse ou une tentatrice porteuse du pêché originel. Légèrement vêtues ou entièrement nues, leurs formes sont voluptueuses et les traits du visage d’une beauté intemporelle. Aux antipodes de la minceur « exigée » des aristocrates de l’époque !
Dans l’Affiche pour la Dépêche de Toulouse de Maurice Denis, une « cariatide » portant les nouvelles dans une envolée symbolise la communication, la presse en pleine expansion. « La vague » d’Aristide Maillol ne laisse pas indifférent, cette femme nue submergée par les ondes d’une mer déchaînée ne laisse aucun doute quant au message. L’exposition fait la part belle au Maestro de l’Art nouveau, le peintre et illustrateur Mucha, révélé au Salon des Cent à Paris en 1897 avec pas moins de 448 oeuvres. Parmi elles, une affiche représentant la star de l’époque, la divine Sarah Bernhardt dans Gismonda. Les suisses Félix Valloton et Théophile Alexandre Steinlen trouvent leur place sur la scène artistique parisienne en illustrant la vie quotidienne des petites gens.
L’affiche Art nouveau : l’avénement de la publicité
Le commerce est florissant, les marques se multiplient sur les étals. Les fabricants et magasins utilisent la réclame pour valoriser leurs produits, et battre la concurrence. Vous l’avez sans doute compris l’affiche est prédominante dans l’exposition du Musée de Pully. A la Belle Epoque, la publicité entre dans la vie quotidienne et se placarde dans les rues, et les lieux publics. Le métier de publicitaire n’existant pas encore, ce sont donc les artistes qui s’emparent de ce domaine et l’érigent au niveau de l’art. L’art public, l’art pour tous, à bas prix ! Signées, les affiches portent les noms de Toulouse-Lautrec, Jules Chéret, Alphonse Mucha ou Pierre Bonnard, les illustrateurs vedettes de l’époque. »J’étais heureux de m’être engagé dans un art destiné au peuple et non à des salons fermés. C’était bon marché, à la portée de tous et trouvait sa place aussi bien chez les familles pauvres que dans les milieux aisés. » a dit Mucha.
Les affiches vantent les atouts d’un produit de consommation tel que le champagne ou le tabac, d’un moyen de transport, d’une destination touristique, d’un spectacle ou d’une exposition. Car oui, les loisirs se font une place grandissante dans cette société en effervescence.
Grandeur et décadence
L’engouement pour l’Art nouveau atteint son apogée avec notamment l’Exposition Universelle à Paris en 1900. Mais comme un phénomène de mode, il va perdre son influence et la première guerre mondiale lui donne le coup de grâce. L’Art Déco a déjà pris ses marques et le supplantera avec ses lignes et formes géométriques. Malgré la brièveté de son existence, l’Art nouveau a laissé son empreinte dans l’architecture des capitales et de lieux emblématiques, dans le design et la mode.
Nous remercions cordialement Victoria Mühlig, conservatrice au Musée d’art de Pully, notre guide durant la visite.