Viva Frida Kahlo au Palais de Beaulieu (Lausanne), crédit photo ©Sonia Jebsen
Sonia Jebsen – janvier 2023
Unique par le look qu’elle s’est créé, avec ce regard chapeauté d’un mono sourcil exagéré, Frida Kahlo (1907-1954) fait son show au Palais de Beaulieu jusqu’au 19/03. Dans une ambiance musicale latino-américaine, la voix imaginaire de l’artiste confie aux visiteurs les événements les plus marquants de sa vie, illustrés par des oeuvres animées. Viva Frida Kahlo est le fruit de la collaboration entre MAAG Music & Arts et Projektil.
Suite à cette immersion artistique, nous avons replongé dans la biographie intimiste et très fouillée écrite par Rauda Jamis : Frida Kahlo, autoportrait d’une femme (1985)
Dans la famille de Frida Kahlo, il y a…
Frida Kahlo aurait préféré naître le 6 juillet 1910, année de la révolution mexicaine menée par Emiliano Zapata ! Elle, l’enflammée, la passionnée voit le jour 3 ans plus tôt, dans la célèbre Casa Azul (maison bleue) à Coyoacan. Là, vivent ses parents et deux soeurs. Son père, Wilhelm Kahlo, photographe, d’origine juive hongroise, a quitté l’Allemagne dans l’espoir d’une vie meilleure au Mexique. Il épouse la très pieuse Matilde Calderon, un doux mélange hispano-indien.
De ses trois prénoms, Magdalena Carmen Frida, elle choisit le dernier signifiant le pouvoir de la paix en allemand. Vive, parfois effrontée, ce « garçon manqué » grandit sous le regard bienveillant de son père qui perçoit en elle tout le potentiel. Un premier drame la frappe à l’âge de six ans. Les médecins diagnostiquent une polyiomiélite à la jambe droite. Résultat : un pied atrophié, une jambe plus courte que l’autre. C’est grâce au sport que la jeune fille apprend à dompter cette déficience physique. Que dire du lien avec sa dévote de mère ? Si ce n’est qu’elle adopte une philosophie de vie aux antipodes.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Le temps des études et de l’engagement politique
Malgré son handicap physique, Frida Kahlo se montre battante et ambitieuse. Son souhait : devenir médecin. Intégrant l’Ecole préparatoire nationale (Zocalo) en 1922, elle rallie le groupe anarchiste des « Cachuchas » formé essentiellement d’hommes, la future élite intellectuelle mexicaine. Elle en gardera de merveilleux souvenirs entourée d’amis partageant les mêmes valeurs humaines.
A cette époque, la jeune femme, fine et élancée se démarque déjà des autres étudiantes en s’habillant à l’allemande : jupe à plis bleu marine, chemise blanche et cravate. Parmi les Cachucas, il y a le bel Alejandro Gòmez Arias, avec lequel elle entame une relation amoureuse épistolaire et platonique.
« Sentir dans ma propre douleur la douleur de tous ceux qui souffrent et puiser mon courage dans la nécessité de vivre pour me battre pour eux ». Frida Kahlo
L’accident, révélateur du génie artistique de Frida
Par une chaude journée de septembre 1925, Frida et Alejandro montent dans un bus bondé direction Coyoacan. Sur son parcours, un petit train percute le bus en son centre, malmenant ses passagers jusqu’à sa destruction totale. Les amoureux sont éjectés, Frida se retrouve transpercée de part en part par la main courante. Ce n’est que le début d’un supplice qui durera jusqu’à sa mort avec son lot de souffrance : des mois d’ hospitalisations, 30 chirurgies, l’amputation de sa jambe droite.
Alitée durant des mois, quelle va être sa vie à présent ? Elle lit Proust, écrit beaucoup. Adieu la médecine, les études, la capacité d’enfanter ! Si le désespoir l’envahit souvent, sa force de vie est immense. Un jour, sa famille transforme sa couche en lit à baldaquin et accroche un miroir au plafond. De ce face à face implacable naîtra son besoin de peindre, de se peindre. Son père lui fournit tout le matériel, les couleurs sont une joie pour l’artiste en devenir. Son premier autoportrait, elle l’offre à Alejandro en 1926 (image à droite).
“Je peins des autoportraits parce que je me sens si souvent seule, parce que je suis la personne que je connais le mieux.” Frida Kahlo
Un couple sulfureux : Frida Kahlo-Diego Rivera
En 1922, l’étudiante porte déjà de l’intérêt au peintre mexicain très renommé alors qu’il travaille sur une fresque à l’Ecole nationale. Ce géant excentrique (1886-1957), aux yeux de crapaud, a 21 ans de plus qu’elle, mais qu’importe… L’art et l’engagement politique (nationalisme révolutionnaire) vont les rapprocher irrésistiblement. Frida aime Diego de manière exclusive et passionnée. Lui devient son plus fervent admirateur et conseiller.
L’éléphant et la colombe convolent en justes noces le 21 août 1929. Frida a immortalisé le mariage en 1931, elle s’est peinte revêtue de la tenue Tehuana qui fera d’elle une icône à jamais : une grande blouse carrée, une jupe longue et une coiffe fleurie posée sur des nattes couronnant sa tête. Ses efforts de coquetterie et l’attention qu’elle porte à son époux ne sont pas un frein aux infidélités de Diego qui la trompera même avec une de ses soeurs !
« Je ne peux pas parler de Diego comme de mon mari car ce terme, appliqué à lui, est une absurdité. Il n’a jamais été et ne sera jamais le mari de personne. » Frida Kahlo
La peinture comme une bouée de sauvetage
Si Diego est un goujat en amour, il soutiendra sans cesse Frida dans son rôle d’artiste. Elle comble sa solitude en peignant assidument et durant des heures des petits formats pour la plupart (40cm x 30cm) ! L’unique grande toile s’intitule *Les deux Frida » (173 x 173,5cm) réalisée en 1939 au moment de son divorce. Son oeuvre picturale n’est que le reflet de sa vie, une biographie à part entière. « Ni Derain, ni moi, ni toi, nous ne sommes capables de peindre une tête comme le fait Frida Kahlo », écrit Picasso à Rivera.
Son rapprochement avec les surréalistes français, tels qu’André Breton, l’assimile à tort à ce mouvement pictural. « Ils me disent surréaliste, mais je ne le suis pas. Je n’ai jamais peint de rêves, j’ai peint ma réalité. » Sur les 143 tableaux réalisés par Frida Kahlo, 55 sont des autoportraits de sa souffrance physique et morale. L’un d’eux, « Diego y yo » (1949) a été vendu à 34,9 million de dollars aux enchères de Sothebys à New-York en novembre 2021. Ce record la place devant Diego Rivera dont la toile « Les Rivaux » (1931) avait été adjugée à 9,8 millions de dollars chez Christie’s en 2018.
Elle peint sa dernière toile, « Viva la vida », en 1954. Les pastèques aux tonalités vibrantes de vert et de rouge sont le symbole du lien entre les vivants et les morts au Mexique. Une oeuvre en forme de testament.