Sonia Jebsen – mars 2023
Camille Joslet, fondatrice de l’entreprise Créateurs d’Histoires, est la lauréate du prix Light’Up 2022 décerné par la Fondation WRP. Elle expose jusqu’au 28 avril prochain une sélection d’artisans d’art dont le savoir-faire, et la créativité se nourrissent d’une conscience écologique indéniable.
Sonia Jebsen : Quel a été votre parcours professionnel jusqu’à la création de votre entreprise ?
Camille Joslet : Grâce à ma licence et mon Master en langues étrangères appliquées en chinois, j’ai passé une année à Chongqing, la plus grande ville du monde et de Chine. De retour en France, un stage au service culturel de la Rochelle m’a guidé vers une autre spécialisation, un Master en Développements de Projets culturels (art, musique, danse…). Mon premier emploi, je le dois au propriétaire d’un domaine privé comprenant un hôtel et un restaurant étoilé. Ce collectionneur m’a chargé de la médiation de l’espace d’art contemporain (450m2) en accueillant des expositions. De plus, j’ai géré la boutique proposant des oeuvres d’artisans locaux. En les côtoyant, j’ai compris leurs difficultés, leur manque de visibilité et de reconnaissance.
Curieuse professionnelle, Sonia part toujours un appareil photo à la main, pour partager les beautés de la région ou sa passion pour l’art et les artistes.
Sonia Jebsen : Quelles sont les motivations à la source du lancement de Créateurs d’Histoires ?
Camille Joslet : Je considère les artisans d’art comme des êtres à part, souvent humbles et sensibles, doutant parfois de leurs compétences, malgré leurs prouesses techniques et la beauté des oeuvres. Ceux que je sélectionne travaillent de manière innovante et responsable vis-à-vis de la nature. La provenance des matières premières est primordiale ainsi que le recyclage et le réemploi. Notre démarche, loin de brider la créativité ou de surfer la vague du green washing, se veut honnête en apportant notre contribution à la préservation de l’environnement. Voici quelques exemples pour illustrer mon propos : l’ébéniste utilise des huiles végétales naturelles, le porcelainier recycle ses chutes de terre, le verrier utilise des oeuvres abîmées pour en créer de nouvelles.
Je tiens également à offrir un service unique et des produits d’exception dans une époque très conforme à mon avis. Toutes les oeuvres sont uniques et originales. Nos clients bénéficient de prestations sur mesure et personnalisées.
Sonia Jebsen : Créateurs d’Histoires propose de mettre en relation des artisans d’art avec des professionnels et des particuliers pour créer des projets audacieux et uniques. Expliquez-nous.
Camille Joslet : Forte de mon expérience dans le domaine du luxe, et notamment l’hôtellerie et la restauration, j’ai pris conscience de la pression pesant sur les chefs pour l’obtention d’une étoile au Guide Michelin ! L’atout est souvent dans cette touche d’originalité qu’apporte des supports culinaires originaux réalisés par des créateurs au savoir-faire de qualité. Un chef n’a pas le temps de s’investir dans cette recherche, c’est là que nous intervenons.
En ce qui concerne les particuliers, nous avons, par exemple, imaginé et créé des tapisseries sur mesure pour habiller un salon, revêtir de porcelaine tout un mur, ou réaliser une collection de vaisselle décoré de motifs personnalisés.
Nous démarchons les artisans sur des salons, les réseaux sociaux et même des marchés locaux en nous assurant qu’ils partagent nos valeurs et notre philosophie. Il est aussi essentiel à nos yeux que leur processus de création soit en évolution continue.
Sonia Jebsen : La pièce centrale de l’exposition est une grande table envahie par des végétaux, d’où émergent çà et là des créations d’artisans d’art. Quels sont les messages dans cette belle mise en scène ?
Camille Joslet : La table « Ecosystème » est une ode à la Nature évidemment, source d’inspiration des créateurs. Cette oeuvre à part sert de lien entre les pièces d’exception présentées. Branchages, mousses, champignons, feuilles séchées participent à son décor et illustrent son statut d’auto suffisance. Durant les deux mois d »exposition, la table invitera à la fois à la contemplation mais aussi à la dégustation gastronomique.
La seconde thématique est le recyclage dans le processus créatif. Vous verrez des oeuvres réalisées avec des chutes de plastique, de bois, des fleurs fanées etc… Comme vous l’avez remarqué, l’effet de trompe l’oeil apparait dans certaines oeuvres, questionnant l’origine des matériaux employés. Pour que cette mise en scène soit harmonieuse, il fallait réunir des artistes sachant oeuvrer dans le même sens sans perdre leur identité propre.
Sonia Jebsen : Comment définissez-vous l artisan d’art ? La frontière avec l’artiste « Beaux-Arts » est-elle encore bien définie ?
Camille Joslet : L’artisan d’art est passionné (e), remplie d’humilité, plutôt discret(ète), habile de ses mains. Son travail est en perpétuel évolution au fil de ses expérimentations. En plus de sa maîtrise d’un ou plusieurs savoir-faire et techniques ancestrales, sa connaissance des matériaux est pointue. L’artisan d’art est un chercheur averti, un explorateur persévérant et un poète sensible. Voici une citation de John Ruskin pour illustrer mon propos : « L’art est beau quand la main, la tête et le coeur travaillent ensemble ».
La frontière entre l’artiste et l’artisan d’art est infime et finit par s’estomper lorsqu’on se réfère à une oeuvre issue d’une recherche et de l’excellence dans la pratique. Le regard du public a évolué ces derniers temps vis-à-vis des créateurs que l’on découvre sur nombreux salons et foires de qualité. Votre question porte à débat évidemment.