Claire-Alice Brenac – avril 2019

Le 7 mars dernier une bande de filles  empaillettées est montée sur les planches du Moulin Rouge de Genève. La journée employée de banque, médecin, secrétaire, fleuriste, avocate, serveuse… elles ne sont pas des professionnelles de la scène mais se transforment en reines du burlesque la nuit tombée.

C’est toujours intéressant de rencontrer des gens qui bousculent vos certitudes. Comme d’autres font du yoga, vont chez un psy, ou passent des heures au fitness, ces filles ont choisi  l’effeuillage burlesque  pour taquiner leurs complexes, se réconcilier avec elles-mêmes, un peu comme une forme d’art-thérapie!

Alors que nous rencontrons  Rachel pour évoquer cette soirée du 7 mars, nous allons de surprise en surprise en découvrant son enthousiasme pour cet univers et le spectacle. Sincèrement, le premier contact avait démarré sur un quiproquo puisque nous pensions avoir à faire à sdu stand-up comedy show au féminin pour la journée contre les violences faites aux femmes… mais quand elle nous a parlé d’effeuillage, il a fallut poser la question…

Le Burlesque, qu’est ce que c’est?

Remontons un peu le temps : « burlesque » vient de l’italien burlare, c’est à dire plaisanter, blaguer, bouffonner… c’est un genre théâtrale qui mettait en scène la caricature et la moquerie des puissants, avant que le terme ne soit associé à partir de la fin du XVIII ème à la grande époque des cabarets parisiens et de leurs danseuses qui s’effeuillaient en dansant. C’est donc aujourd’hui l’art de se déshabiller … joyeusement mais pas complètement, en se cachant derrières des boas, chapeaux, voiles et surtout, de l’humour.

Pendant les années 70 alors que l’industrie de la pornographie explose à l’ère de Play Boy, ce numéro coquin tire sa révérence en même temps qu’une certaine idée de la féminité et la sensualité ; c’est l’avènement du strip tease qui n’est plus fait pour divertir et amuser. No comment.

Il faudra attendre quelques décennies pour que des artistes s’emparent à nouveau de l’effeuillage et retrouve un public. Le néo-burlesque est né, l’artiste  la plus connue symbole de cette résurrection étant la danseuse Dita Von Teese.

Ce néo-burlesque garde une philosophie un peu différente que l’on se place d’un côté de l’atlantique ou de l’autre.  Alors qu’à la sauce américaine les chorégraphies sont plus crues et un peu plus sexe, disons le franchement, en Europe le prétexte de l’effeuillage reste le divertissement.

Dans le sillage de cet élan,  des écoles se sont ouvertes un peu partout  pour des femmes aux motivations très diverses :  pour certaine un jeu, un prétexte pour danser, pimenter sa vie intime, pour d’autres une véritable thérapie…  même si la démarche de s’épanouir en jouant ainsi avec la séduction n’est pas toujours socialement comprise ou acceptée. A voir le film de Matthieu Amalric, « Tournée », présenté à Cannes en 2010, qui révèle assez bien les contradictions qui entourent le burlesque.

Genève a son école,  Secret Follies, créée en 2010 par une danseuse professionnelle : Emma Mylan. C’est dans ce studio de Plainpalais que Rachel s’est piquée au jeu.

Dita von Teese – Facebook

Qu’est ce qui vous a fait pousser la porte de l’école Secret Follies ?

Rachel : Il y a quelques années, dans une boutique à Genève,  je tombe sur un flyer. J’avais mis ce flyer de côté, et un jour j’ai pris le temps de chercher sur internet et j’ai vu que cette école proposait un workshop d’effeuillage rétro.

Je me suis dit OK, je me lance. Je me suis inscrite et j’ai adoré. C’était une toute petite salle de danse dans la vieille ville, le tout début de cette école. Il y avait quatre ou cinq filles, on ne se connaissaient pas… on entre, on se regarde un peu, on se présente… et pendant ces présentation on sentait déjà une bienveillance, une forme de solidarité.

Pendant ce premier cours on a appris à marcher avec des talons. On traversait la pièce en diagonale en faisant des allers-retours, en insistant sur la féminité et la sensualité. Ensuite on a appris à effeuiller des bas, des gants. Tout cela dans la bonne humeur. A ce stade, c’était vraiment une démarche très personnelle, complètement pour soi-même. Si on voulait continuer et s’inscrire à l’école, on pouvait aller vers la création d’un numéro pour faire un spectacle. Ce n’est pas obligatoire car toutes les élèves ne veulent pas monter sur scène. Certaines filles ne souhaitent pas le faire par pudeur, d’autre ne le peuvent car leur profession ne le leur permet pas, l’exercice n’étant pas toujours compris au second degré comme il devrait l’être.

Rachel

Entre ce premier cours où vous et les autres élèves arrivent un peu stressées et la scène, que s’est-il passé?

Rachel :  Au fur et à mesure on a vu les chenilles devenir papillons. Quelques-unes se sont même révélées être de vraies artistes. Dans le burlesque, on trouve une réconciliation avec son corps et sa féminité  mais aussi le moyen d’exprimer sa créativité. La création d’un numéro vous emmène vers la danse, le chant, l’élaboration d’une chorégraphie, la confection de costumes et d’accessoires. On adore tous ces accessoires qui exagèrent et qui nous permettent de tricher car on ne se déshabille pas complètement  : on peut très bien faire un numéro en effeuillant seulement les bas et les gants.

Et en tant que papillon, je peux dire que l’effet positif ne se limite pas à s’accepter physiquement. J’ai pris des cours de chant, ce qui m’a appris à respirer à poser ma voix, à gérer mes émotions, et avec le temps à mieux m’exprimer dans ma vie professionnelle.

Nous avons besoin de bousculer l’image de la femme magazine… nous sommes toutes différentes et nous avons toutes des complexes. Toutes les femmes sont belles quand elles s’aiment, s’amusent et s’acceptent.

Jusqu’à la scène il s’est déroulé cinq ou six mois. Le premier spectacle on l’a fait au Lido à Lausanne. Nous n’avions pas d’endroit à Genève. C’était un ancien cinéma, une vieille salle dans son jus, petite scène et petite coulisse… il a fallut trouver un DJ, quelqu’un pour les lumières et aussi faire de la pub pour ne pas avoir que des amis dans la salle. On était très solidaire malgré un trac fou et petit à petit on a eu les amis des amis, et puis finalement le public est au-rendez-vous à chaque année!

burlesque geneve