Alexandre Jardin est né le 14 Avril 1965 à Neuilly-sur-Seine.

Il est le fils de Stéphane Sauvage et de Pascal Jardin  (1934-1980), écrivain et scénariste, dit le Zubial. Il est père de cinq enfants.

Après le père, le grand-père et le clan, voici la mère ! Alexandre Jardin continue la relecture de son histoire personnelle et nous propose avec son nouveau livre « Ma mère avait raison » de découvrir sa mère, Stephane Sauvage dite Fanou.

Cette femme se voulait libre au point d’agir comme elle le voulait et parler comme elle le souhaitait sans se soucier des éventuels dommages collatéraux que ses actes pouvaient provoquer notamment sur ses enfants. S’il souhaite rendre hommage à celle qui a voulu courir le risque d’être elle-même, Alexandre Jardin semble aussi vouloir revisiter sa relation avec sa mère et la manière dont elle a pû l’élever. Au fil des pages, il plébiscite une éducation qui lui aurait donné l’envie de vivre pleinement et de ne rien craindre… Mais à quel prix ? A chacun, après avoir refermé le livre, d’en tirer peut-être une conclusion personnelle.

Rencontre à l’occasion du salon du livre de Genève.

Virginie Hours : Vous avez dit que votre mère était la pierre d’angle de la famille. Pourtant, vous lui consacrez seulement un livre après celui sur votre père, le clan, votre grand-père… Pourquoi vous a-t-il fallut plus de temps ?

Alexandre Jardin : Je ne savais pas si j’écrirai sur elle de son vivant ou à sa mort. Mais finalement, ça aurait été incorrect de le faire dans son dos. Les autres auteurs écrivent presque toujours après le décès de leur mère. Moi, je voulais qu’elle sache ce que je pense d’elle.

Il a écrit notamment :

  • Bille en tête, prix du premier roman
  • Le zèbre, prix fémina
  • Fanfan
  • Le Zubial
  • Le Roman des Jardin
  • Des gens très bien

VH : Vous écrivez «ma mère avait raison.» De quoi ?

AJ : Elle a fait le choix d’être réelle. Quand elle installe tous ses hommes à la maison, c’est parce qu’elle veut vivre avec eux. C’est quelqu’un qui aime prendre le risque fou d’être elle-même dans une société où il est normal de vivre avec des mensonges. Elle est d’accord avec l’idée de faire confiance aux autres dans une société où on ne fait plus confiance. Je trouve qu’elle a eu raison de ne pas être une mère protectrice. Je prône cela en étant très conscient d’être à l’envers de tout ce qui se dit aujourd’hui. Mais la grande folie de l’hyper-protection est de ne plus faire confiance aux enfants. Regardez autour de vous : ceux qui sont intensément vivants sont ceux qui ont eu des vies compliquées. Sinon, on ne peut pas trouver sa force.

VH : Selon votre livre, elle vous a inculqué la liberté. Mais vous avez également raconté qu’à la mort de votre père, elle vous aurait dit, « maintenant c’est toi le chef de famille ». N’est-ce pas contradictoire ?

AJ : C’était une erreur de sa part. Elle se noyait, elle ne savait pas ce qu’elle disait. Elle a reprit sa place après. Ce qui m’intéresse c’est qu’elle porte un sujet plus grand qu’elle, comme une héroïne grecque telle Antigone. Or, toutes les tragédies grecques nous invitent à vivre, à exister.

VH : Et la décision qu’elle prend de vous envoyer en Angleterre… C’est très violent, non ?

AJ : M’envoyer en Angleterre le lendemain de l’enterrement de papa et alors que je parle très mal anglais, est effectivement un acte très violent mais est ce que me donner des câlins allait faire revenir mon père ? Elle a décidé qu’il fallait que quelque chose en moi se réveille. Le fait d’être confronté à une situation pleine de doutes ou de question est douloureux mais vous fait vivre. Et c’est ce qui est dérangeant. Oui, sur le moment ce fut une décision violente mais sur la durée je me suis rendu compte que cela m’avait fait très vivant. Car j’ai été obligé de chercher la vitalité qui ne vient pas naturellement de la protection.

VH : Quelle mère souhaitez vous pour vos enfants ?

AJ : A un moment, il faut être réel même si c’est compliqué ou inconfortable. Le risque d’hésiter à vivre est dix fois plus grand. Il est très important d’oser exister, de ne pas faire semblant d’être. J’essaie de leur transmettre ça.

VH : Vous la remerciez pour la liberté qu’elle vous aurait donnée mais vous pestez aussi contre l’absence de sécurité… Quel déclic vous a permis de changer le regard sur l’éducation qu’elle vous a donné et d’en conclure que, finalement, c’était bien ?

AJ : La distanciation vient plus tard. Le fait d’avoir des enfants y contribue bien sûr… En devenant un jeune homme, puis un homme j’ai aussi compris que j’avais accès à un monde très vivant. Je n’hésitais pas à exister. J’ai écrit à 20 ans, j’ai été publié, ça a marché tout de suite. Je n’ai jamais fait semblant alors qu’autour de moi, des amis très proches étaient plus dans l’hésitation…. Mais ils sont fous, ils pourraient mourir demain ! Je ne sais pas ce que l’être humain attend. On est dans une espèce de lenteur qui fait que lorsque les catastrophes arrivent, les gens sont désemparés. Moi, j’ai été projeté dans la vie.

VH : Est-ce que vous comprenez que votre livre puisse gêner, voire choquer quant à l’attitude de votre mère vis à vis de ses enfants et la vôtre qui semble tout justifier après coup ?

AJ : Oui car c’est une autre littérature, un livre qui provoque énormément de chose. Chacun réagit avec son histoire. J’ai compris que ce qui avait surpris les femmes c’est que ma mère ne jugeait pas. Et fondamentalement, je ne la juge pas non plus. Je suis très admiratif des gens qui acceptent une vie inconfortable.

VH : Mais quelle est la différence entre la liberté et l’égoïsme ?

AJ : Ma mère pose constamment la question. Au final, notre premier devoir est de vivre, ce qui est difficile. Très souvent, on utilise le terme égoïsme et on se le met devant les yeux par lâcheté. Car être vivant, c’est notre question. Une femme est venue me voir et m’a expliqué qu’après de nombreuses années de mariage et des enfants, elle aimerait vivre seule mais sans quitter son mari. C’est une idée magnifique de vouloir son territoire.

VH : Votre mère n’était-elle pas simplement un produit typique de 68 et du « il est interdit d’interdire » ?

AJ : Non car 68 était sociologique alors que ma mère est mythologique. Ce n’est pas une baba cool. Elle se moque des modes. Elle n’est pas non plus très au courant de l’actualité car les récits des médias l’ennuient. Elle passe par dessus le réel. Elle n’appartient pas tellement à la société.

Othmar Ammann