Virginie Hours – juillet 2019

Passionnée de photographie et parcourant avec plaisir les expositions, Gaëlle Josse regarde avec beaucoup de curiosité ces manières différentes de voir le monde et les autres. Ce n’est donc pas un hasard si la vie et le travail de la photographe Vivian Maier l’ont séduite et incitée à nous offrir « Une femme en contre-jour, » un récit très intime et visuel à la fois.

A l’occasion du salon du livre de Genève, entretien avec une femme qui interroge la force de l’image, le travail de l’écrivain et celui du photographe.

Virginie Hours : Pouvez-vous nous parler de la particularité des photographies de Vivian Maier ?

Site web de Vivian Maier >>>

Gaëlle Josse : Ses photographies m’impressionnent. Je les trouve d’une force, d’une puissance, d’une intensité exceptionnelle ainsi que d’une forte acuité psychologique. Elles disent tout d’une société, d’une époque. J’ai été tellement fascinée que je me suis demandée quel était la main ou l’œil qui était derrière ces photographies et quelle sorte de vie avait eu son auteur pour photographier ainsi les démunis, les déclassés, les fracassés de la vie avec autant d’empathie, de justesse mais d’une manière presqu’obsessionnelle.

VH : Au-delà de ses photographies, qu’est-ce qui vous a également attirée dans la personnalité de Vivian Maier ?

GJ : J’ai découvert qu’après une histoire familiale difficile et complexe, elle a vécu une vie de passe-muraille, d’effacement et en même temps une vie féconde puisqu’elle était capable d’embrasser la vie et de donner naissance à des portraits d’une immense humanité. Ensuite, sa vie se délite, et son œuvre disparait jusqu’au jour improbable où un homme trouve ce trésor dans un carton. J’ai trouvé qu’il y avait là un parcours de vie étonnant et surtout une énigme : pourquoi et comment quelqu’un peut-il tous les jours pendant des dizaines d’années photographier inlassablement les autres sans jamais en avoir vu le résultat ?

C’est en partant de cette question que j’ai eu envie de faire le portrait de cette femme et d’essayer de comprendre quel avait été ce parcours un peu tragique. Mais je n’essaie pas d’expliquer le mystère car il subsiste même si je l’ai un peu approché.

VH : Selon vous, que représente l’appareil photo  pour Vivian Maier?

GJ : Il lui permet d’atteindre un état de résilience en dépit d’une histoire personnelle très violente car je pense que la rue a du être pour elle beaucoup plus rassurante que le foyer dans lequel elle a grandi. Peut-être que cet appareil photo l’aide ainsi à apprivoiser le monde à un moment à priori hostile dans sa vie. Puis, il lui donne à se remplir du monde qui vit autour d’elle alors que sa propre vie est un désert mais un désert plein de sensibilité.

VH : Est-ce vraiment une femme en contre-jour ?

GJ : Le choix du titre du livre est un clin d’œil photographique mais il signifie aussi et métaphoriquement, qu’on la voit toujours en contre-jour : on pense la voir mais il y a encore beaucoup de zones d’ombre dans sa vie. Cette idée de clair obscur, de contre-jour, de secret, de révélation répondait bien à cette histoire.

VH : Quels liens faites-vous entre votre travail d’écrivain et son travail de photographe ?

GJ : C’est surtout son art du portrait qui est en résonnance avec moi et avec ce que j’essaie de faire en écriture. Avec un cliché pris à la volée dans la rue, elle nous donne à comprendre tout d’une vie. Moi, je m’aperçois qu’en écriture je me plais à accompagner mes personnages dans leur labyrinthe, leur progression et je m’intéresse à tout ce qui constitue le matériau de leur vie. Finalement, j’aspire à dessiner leurs portraits comme y parvient Vivian Maier.

 Et puis, nous recherchons toutes deux à redonner une humanité à nos personnages car tout le monde n’a pas un destin mais tout le monde a une histoire qui est unique et qui mérite d’être racontée. Il y a des éléments qui n’appartiennent qu’à nous et je trouve que ceci est passionnant à explorer.

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Othmar Ammann