Virginie Hours – Mai 2016
Lors du Salon du Livre de Genève j’ai rencontré Sophie Fontanel, alias Fonelle et ancienne directrice de la mode au magazine « Elle » pour un échange impromptu au sujet de son livre « La Vocation ». Ou l’histoire de ses grands-parents arméniens qui arrivent en France dans les années 1920 pour échapper au Génocide. Ce récit est donc l’occasion d’évoquer ces figures familiales pour qui l’élégance était un vecteur d’intégration, et aussi sa vision de la mode et de « l’adoration des beaux habits ».
Pourquoi choisir comme titre du livre, « La vocation » et non « L’héritage » ?
L’héritage peut être un poids alors que la vocation est un élan, un esprit presque divin. Pour moi, le vêtement dans la vie des gens est déterminant. Ici, beaucoup de personnes que je vois pourraient être plus remarquables, plus sensuelles ou originales si elles faisaient confiance à quelque chose en elle pour avoir le goût du goût. Il y a comme un découragement avec les vêtements alors que ce n’est pas une question d’argent.
A la lecture de votre livre, on se demande si la mode et « l’adoration des beaux habits » signifient la même chose?
Il existe une balance entre la mode et l’adoration des beaux habits. Par exemple, lors d’un voyage à Miami, je perds ma valise et je n’avais plus de chemise de nuit. J’ai donc utilisé du temps pour faire une tenue, trouver du tissu, des ciseaux, du look. Dans ma vie, j‘ai souvent pas eu de fric et j’allais chez Emmaüs ou autres m’acheter des fringues. Ca, c’est l’élégance. L’adoration des beaux habits. Je suis née en 1962 et en vieillissant, il est important de ne pas se mettre dans quelque chose d’intemporel. C’est dommage parce qu’on vieillit, de s’habiller de manière neutre, on doit être plus large. Il ne faut pas lâcher l’immense part de séduction que nous apportent les vêtements.
L’élégance est une affaire de famille car même votre grand-père, dans son travail de menuisier cherche l’élégance dans les meubles…
Mon grand-père avait choisi une femme élégante. Ma grand-mère avait une allure, quelque chose. Comme ils étaient émigrants, l’idée de s’européaniser était importante car c’était aussi l’idée de s’assimiler. Ils apprenaient le français en apprenant les poèmes d’Eluard. Donc, leur élégance passait aussi par les mots. A la question: « Parlez-vous français ? », ma grand-mère aimait répondre: « un soupçon ».
Il semble que la mode d’aujourd’hui ait perdu une part d’élégance…
Il y a un problème avec l’élégance et la mode. Prenez le sac qui est une invention de la mode. Quand vous regardiez Greta Garbo dans la rue, elle ne portait qu’une espèce de besace mais elle avait les mains dans les poches. Quelqu’un d’élégant avait les mains dans les poches. La mode a fabriqué un mensonge, on a perdu notre âme. Donc, quand on fait une série de mode pour un magazine, on est déçu car rien ne va : le mannequin, le photographe fou, la styliste qui n’est plus au courant du désir des gens, la marque qui impose ses vêtements…
Parmi tous les gens que je décris dans mon livre, il n’y en a pas un qui a ce souci. Pourquoi ? Quand la mode a bougé, il y a eu la notion de confort car on pouvait prendre des éléments vestimentaires aux hommes. Dans le monde de la mode, il y a beaucoup d’argent. Cette jeunesse qui va moins gagner que nous, ils vont s’en foutre. Donc, je ne serais pas étonnée que la mode de luxe se demande comment vendre autrement, vendre quelque chose d’attractif et d’innovant pour pas cher. Nous, on va tabler sur les chinois et les russes qui vont payer. Dans ces pays-là, ils ont crû que le chic et l’argent allaient de pair. Mais maintenant, il y a une autre génération qui a voyagé, étudié, rencontré des gens originaux et ont appris que la mode, ce n’était pas ça. Est-ce qu’ils vont vouloir dépenser pour ça ? Par exemple, moi qui n’ai pas les moyens de m’acheter des bottes de grande marque, je trouve le même style pour 49 euros chez Zara.
Sophie Fontanel et Genève
Quand je suis à Genève, j’adore aller aux Bains des Pâquis et y manger leur fondue!
Votre poste de directrice de la mode chez « Elle » était-il un malentendu ?
Valérie Torranian, qui m’a embauchée, était arrivée au bout de l’histoire avec le magazine et elle a été virée. J’ai alors dit à sa remplaçante: « Il faut tout changer! Il faut montrer le nom sur les réseaux sociaux! ». Elle m’a dit que je me trompais. Donc, je suis partie. 1 an plus tard, j’ai un compte international et je fais des conférences internationales sur ce qui va être vendu demain. A mon âge, avec mes cheveux blancs et mes pairs de baskets et ça les galvanise… Seul le journal The Guardian montre des femmes d’âges différents. Qui vont porter une même salopette en jean mais différemment. Moi, ça ne m’intéresse plus. Je pense que cette presse est finie. Les gens de mon âge sont sur Instagram. Je suis suivie par des très jeunes et des gens de mon âge. Sur Instagram, vous pouvez communiquer. Il faut parler avec les gens. Par exemple, quand je me mets en tenue, je me prends en photo et je poste sur Instagram, on me demande où j’ai trouvé mes fringues et les gens vont acheter.
L’élégance, l’allure, le style, le chien… C’est la même chose ?
Tout ça veut dire la même chose. Le mot élégance a disparu. C’est une notion snob de classe sociale qui réprimerait les autres. L’allure et le style sont repris par les magazines féminins pour vendre de la merde. Moi, je déteste ces mots qui sont galvaudés mais je ne les mets pas sur la mode. Pour moi, le style c’est l’écriture. L’allure est la clé de tout.
Avec la prolifération des vêtements, les gens achètent des vêtements qui ne leur vont pas très bien, qui ne les flattent pas. Il faut donner l’énergie aux gens de revenir à une certaine élégance. Faut-il forcément une silhouette mince ? Non, je connais des filles rondes qui savent faire et savent se montrer. Il faut aussi avoir une discipline et ne pas se jeter sur les gâteaux… Personne n’est obligée d’être mince et de faire un effort mais ma tante disait: « C’est notre politesse ». Tout est question de jouissance. Si vous arrivez à jouir de votre look, vous n’aurez pas à vous jeter sur les paquets de gâteaux ou les histoires d’amour pour vous remplir. Vous pouvez vous dire: « J’ai d’autres préoccupations ».